MUSÉE À LA UNE
FIG. 5 (CI-DESSOUS) : Te Pēhi Kupe (c. 1795-1828), Ngāti Toa
iwi. Par John Sylvester. Liverpool, Grande-Bretagne, 1825.
Aquarelle. 21,1 x 15,8 cm.
National Library of Australia, Rex Nan Kivell Collection. inv. NK1277.
Te Pēhi Kupe était un ariki des Ngāti Toa un chef ayant hérité
d’un important mana, Il était un chef de combat actif ayant
pris part à des actions aux côtés de Te Rauparaha, Tuwhare,
Patuone et Tamati Waka Nene entre 1819 et 1824. Il a attaqué
des parties de la côte ouest de l’île
du Nord, y compris des secteurs de
Wellington, a assiégé l’île de Kapiti
pour fi nalement revendiquer cette
dernière comme son lieu de résidence.
À cette époque, les Ngāti Toa étaient
attaqués par des groupes tribaux
venus du nord qui se dirigeaient vers
le sud pour trouver de nouveaux
endroits où s’installer.
En février 1824, Kupe monta à bord
de l’Urania, un navire marchand, et
déclara son intention de voyager à
bord de celui-ci jusqu’en Grande-
Bretagne et de rencontrer le roi
George IV. Le capitaine Reynolds
ordonna à ses hommes de se
débarrasser de lui, mais Kupe résista
en s’accrochant au navire et par un
concours de circonstances, telles que
le mauvais temps, Reynolds dut céder
et Kupe embarqua pour un voyage
d’un an. Pendant le voyage, il sauva
Reynolds de la noyade au large de
Montevideo et les deux hommes
devinrent des amis proches. Kupe lui
révéla alors ses intentions d’acquérir
des mousquets pour se venger (utu) de
ses ennemis8. En arrivant à Liverpool,
Kupe contracta la rougeole. Le
capitaine Reynolds ne possédait
pas beaucoup d’argent, mais
fi t tout de même appel
au Dr Thomas Stewart
Traill, peut-être
le médecin et
scientifi que le
plus connu résidant
dans cette ville9. Traill s’est
intéressé à Kupe, et ses écrits
sur ce chef maori représentent
l’essentiel de ce que l’on sait du séjour
de ce dernier en Grande-Bretagne10.
La présente aquarelle de John Sylvester est mentionnée
dans le souvenir que Traill a du moko de Kupe qui mérite d’être
répété ici :
Tupai a accidentellement fourni des informations très curieuses au
sujet de l’amoko. Le croquis de sa tête, à partir duquel la gravure
qui l’accompagne a été copiée, a été dessiné alors qu’il se trouvait à
Liverpool, par sa connaissance, M. John Sylvester. Tupai s’intéressait
beaucoup au déroulement de ce travail. Cependant, il était avant
tout soucieux de la reproduction fi dèle des marques de son visage
sur le dessin ; les fi gures, expliquait-il, n’étaient en aucun cas une
simple fantaisie ; elles étaient formées selon les règles de l’art, qui
déterminaient la direction de chaque trait. Le moko correspondait en
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fait à une marque distinctive de l’individu. En effet, Tupai appelait
constamment une partie du moko de son propre visage son nom,
plus précisément la marque se situant sur la partie supérieure de son
nez. Il disait :
« L’homme européen écrit son nom avec un stylo, le nom de
Tupai se trouve ici », en pointant son front du doigt. De plus, toujours
pour illustrer ce qu’il voulait dire, il traçait sur une feuille au stylo ou
au crayon les marques correspondantes des amocos de son frère et
de son fi ls. Toutefois, il n’y avait pas que la
portion de la décoration, qu’il appelait son
nom, qui était familière à Tupai ; chaque
ligne, qu’elle se trouve sur son visage ou
le reste de son corps, était à jamais gravée
dans sa mémoire. ... La profondeur et la
profusion des tatouages, disait-il, indiquaient
la dignité de l’individu. Selon cette règle,
il devait lui-même être un chef de rang
distingué, vu qu’il ne lui restait quasiment
plus de peau nue11.
Kupe décline son identité en désignant
le titi moko sur son front, le motif s’y
trouvant au centre, indiquant qu’il était
un important rangatira de haut rang par
descendance, tant du côté de sa mère
que de celui de son père12.
Pendant son séjour en Angleterre,
Kupe a visité Londres, Manchester et
Gloucester. Il vit pour la première fois
des chevaux et visita des usines. Kupe
n’a pas obtenu les mousquets pour
lesquels il avait traversé le monde. Le
gouvernement britannique organisa son
retour à bord d’un bateau de prisonniers
en partance pour Sydney, où il put
fi nalement acquérir les mousquets qu’il
désirait. Ces armes à feu rendirent les
expéditions guerrières des Ngāti Toa plus
puissantes, surtout contre les tribus qui
n’en possédaient pas.
En 1828, Kupe faisait partie
d’importantes troupes
commandées par Te
Rauparaha, dans le but de
conquérir l’île du Sud
afi n de contrôler cette
région riche en pounamu
(néphrite). Armées de mousquets
et recourant au subterfuge d’échanger
ces mousquets contre des pounamu, ces
troupes ont attaqué les terres de Ngāi Tahu à Kaikoura, Omihi et
Kaiapoi. Kupe fut tué dans cette dernière ville après une querelle
portant sur la néphrite au cours de laquelle il insulta le moko
facial d’un homme en le qualifi ant de « tordu » et « mal fait »13.
La vie de Te Pēhi Kupe fut courte, mais très mouvementée.
Les écrits du Dr Traill sur la vie de Kupe relatée dans le livre The
New Zealanders de George Lillie Craik ont sans aucun doute
considérablement impressionné le romancier américain Herman
Melville. Dans son classique littéraire Moby Dick, les activités du
harponneur polynésien tatoué Queequeg présentent clairement
de nombreuses similitudes avec la vie de Kupe14.