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Cet article apporte un éclairage nouveau
sur deux mystérieuses photos d’archives prises
dans les années 1890 montrant deux katanas japonais,
des épées de samouraïs, aux côtés d’Amérindiens
dans les Grandes Plaines du Nord. Ces katanas ont
tous deux fait l’objet de publications, dans lesquelles
ils ont été présentés, à juste titre, comme des curiosités
s’étant inexplicablement retrouvées en territoire indien
au XIXe siècle. Probablement prise entre novembre
1890 et début décembre 1890, la première photo
(fig. 1) montre un katana accroché à un mur de la
maison du chef Red Cloud de la tribu Oglala Lakota
(réserve de Pine Ridge, Dakota du Sud) et a été publiée
pour la première fois en 1987 dans un ouvrage de Peter
Bleed. La seconde photo (fig. 2), réalisée en 1894
à Gleichen, dans la province canadienne d’Alberta, et
mentionnée pour la première fois par Daryl W. Drew
en 1980, montre quant à elle un katana tenu par Dog
Child de la tribu des Blackfeet (Siksika), ancien éclaireur
pour la police montée du Nord-Ouest (qui sera
rebaptisée « police montée royale du Canada »).
Nous tentons ici de contextualiser et d’expliquer
la présence d’épées de samouraïs parmi des Amérindiens
au XIXe siècle, les deux exemples ci-dessus
étant les seuls connus. À cette
fin, nous allons d’abord nous
intéresser brièvement à la diffusion
et à l’intégration beaucoup
plus larges de l’épée (essentiellement
euro-américaine et appelée
« long couteau » dans de
nombreuses langues indiennes
d’Amérique du Nord) au sein
des cultures amérindiennes.
Ensuite, nous examinerons les
sources japonaises possibles
ainsi que leur implication dans
la présence de ces épées.
LA DIPLOMATIE PAR
L’ÉPÉE : « LONGS
COUTEAUX » ET
AMÉRINDIENS
La diffusion plus large des
épées euro-américaines parmi
les Indiens d’Amérique du
Nord, leur importance fonctionnelle
et la valeur symbolique
que les Amérindiens euxmêmes
conféraient à l’épée, ce
« long couteau », sont des aspects souvent méconnus
de l’histoire des relations entre les Indiens et les
Blancs. Les épées en métal d’origine euro-américaine
ont joué un rôle majeur dans l’histoire et la culture
des Amérindiens ainsi que dans les relations diplomatiques
entre indigènes et étrangers, un fait amplement
documenté par les premiers marchands et
voyageurs, les missionnaires, les militaires, les représentants
du gouvernement et, surtout, par les Indiens
eux-mêmes. Les épées étaient certes des armes, mais
également des symboles de statut et d’autorité prisés
des chefs de clan. Elles étaient utilisées en guise de
témoignages d’amitié, d’objets de cérémonie et de rituel
et parfois comme accessoires pour les peintures
et les photos.
Si les katanas cités ci-dessus sont les deux seuls
exemples connus attestant la présence d’épées japonaises
chez les Amérindiens au XIXe siècle, d’autres
épées en métal se trouvaient depuis longtemps sur
le territoire indien, adoptées puis intégrées à de
nouveaux contextes tribaux. Souvent absentes des
comptes rendus de la culture matérielle amérindienne,
les épées ont pourtant nettement marqué
l’histoire et l’iconographie de la période postérieure
à l’arrivée des Européens.
Dans son article fondamental
The Long Knives paru en
1928, Arthur Woodward a
analysé l’usage répandu des
expressions « long couteau »
ou « gros couteau » chez les
Amérindiens, attribuées non
seulement à l’épée, mais également
au « peuple de l’épée »,
pour finalement désigner
d’abord les colons de Virginie
(les Virginiens), puis tous
les Américains non-Indiens1.
Les épées étaient un élément
important des premiers
ensembles de cadeaux (drapeaux,
médailles de la paix,
uniformes militaires, chapeaux,
haches-calumets, canes
de « chef » et parfois armes à
feu gravées) qui étaient remis
aux dignitaires amérindiens
rendant visite au Grand Père
Blanc (le président américain)
à Washington, D.C. La beauté
FIG. 3 (CI-DESSOUS) :
Portrait d’Etowaucum
(baptisé Nicholas). Intitulé
Etow Oh Koam, King of
the River Nation, par John
Verelst, 1710.
Huile sur toile. 91,5 x 64,5 cm.
Issu de la série « Four Mohawk Kings ».
Library and Archives of Canada,
Portrait Gallery of Canada,
inv. 1977-35-1.
En 1710, trois chefs mohawks et un
chef mohican se rendirent à la cour
de la reine Anne afin de trouver des
solutions aux incursions sur leurs
terres des Français et de leurs alliés
autochtones. Verelst, un portraitiste
néerlandais, fut chargé de les peindre
à cette occasion. Il opta pour un style
réservé aux membres de la famille
royale et tous portent une cape rouge
aux bords dorés. Le chef mohican
Etow Oh Koam tient une massue à
tête ronde et porte une épée incurvée
à la ceinture, probablement d’origine
ottomane. Une tortue est représentée
à ses pieds, en référence à sa tribu.
ÉPÉES INDIENNES