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Un problème surgit lorsque le musée n’est pas le
lieu de l’affi rmation de l’identité
nationale mais qu’il est conçu, ainsi que le
souligne l’anthropologue Benoît de L’Estoile,
comme un musée des autres ; qu’il conserve des
objets prélevés ailleurs, s’arroge le droit
de parler des autres (ou au nom des autres) et
prétend énoncer la vérité sur eux.
Extrait du Rapport sur la restitution du patrimoine
culturel africain.Vers une nouvelle éthique relationnelle,
p. 31. Felwine Sarr et Bénédicite Savoy.
RESTITUTIONS :
les yeux pour pleurer ...
Le rapport remis au président Macron
par les deux experts, engagés pour étudier
les modalités de futures restitutions d’oeuvres de
culture matérielle à leurs pays africains d’origine,
a surpris les observateurs les plus bienveillants
par sa virulence, son parti pris sans nuance et la
radicalité de ses propositions. Pourtant on aurait
pu s’y attendre tant le choix des personnages
retenus pour mener à bien cette diffi cile mission
annonçait des prises de position idéologiques bien
éloignées du travail apaisé et objectif qu’un sujet
aussi sensible aurait mérité.
Madame Bénédicte Savoy, lors de sa magistrale
leçon inaugurale au Collège de France en mars
2017, se disait « saisie d’effroi… et d’incrédule
consternation » à la vue de la statue de Champollion
pesant de sa botte sur la tête d’un pharaon
dans la cour de la vénérable institution. Elle
confi rmait sa position partisane par sa déclaration
dans le Süddeutsche Zeitung du 20 juillet 2017
comparant à Tchernobyl le Humboldt-Forum
de Berlin, institution dont elle a démissionné au
bout de deux ans pour dénoncer « la chape de
plomb » couvrant la provenance douteuse des
collections constituées lors de l’époque colo-
niale qui seront exposées dans ce futur musée.
Monsieur Felwine Sarr, quant à lui, fustigeait
la France et le président Macron la veille de la
conférence de ce dernier à Ouagadougou. Peutêtre
sa sélection comme arbitre des restitutions
a-t-elle modifi é son point de vue exprimé dans le
titre de son article publié alors dans Le Monde :
« Africains, il n’y a rien à attendre de la France que
nous ne puissions nous offrir à nous-mêmes ! »
Les « amis critiques » dont les deux experts se
sont rapidement entourés n’avaient, pour la majorité
d’entre eux, de critique que le nom : On y
retrouve des « sympathisants » comme Messieurs
Par Bertrand Goy
Kwame Opoku, Souleymane Bachir Diagne ou
Madame Christiane Falgayrettes-Leveau, d’autres
résolument militants comme Madame Marie-Cécile
Zinsou, véritable amazone de Béhanzin quand
il s’agit de défendre le patrimoine de l’illustre
monarque, ou Son Excellence Louis-Georges Tin,
premier ministre de la diaspora africaine et acteur
très impliqué dans la saga des restitutions… Sans
parler de Monsieur Hamady Bokoum, conservateur
du nouveau musée des Civilisations noires à
Dakar, premier concerné tant il a semblé avoir du
mal à remplir les salles de son immense édifi ce.
Quand il découvre ce rapport, disponible pour
le public avant même le jour de sa remise offi cielle,
le lecteur ne peut être que saisi, lui aussi, « d’incrédule
consternation ». Il aurait pu attendre de
si brillants intellectuels plus de rigueur, et, en particulier,
qu’ils se soient interdits une généralisation
commode consistant, comme si l’on traitait
de statistiques, à étendre à quarante-huit pays les
conclusions auxquelles ils sont parvenus en observant
un échantillon limité à quatre d’entre eux.
On regrette également qu’aucune voix contradictoire
n’ait pu s’y faire entendre et que des réalités
essentielles aient été passées sous silence, comme
ART et loi