dans un enclos à l’abri des regards des non-initiés.
Avant de commencer leur travail à l’aide d’herminettes9,
100
les hommes chiquent des noix d’arec et
tuent un poulet dont le sang sert à arroser le bois
avec lequel ils vont travailler la sculpture10. Les
sculpteurs crachent également leur chique de bétel
sur ce dernier et le frottent énergiquement pour
bien la faire pénétrer dans le bois. Ces deux substances
rouges, le sang et le jus de chique, doivent
permettre aux esprits ancestraux de s’y incorporer
avec toute leur puissance. Ces derniers sont censés
encourager les travailleurs par leurs voix qui se
manifestent à travers les sons des fl ûtes en bambou
dans lesquelles souffl ent plusieurs hommes. Tous
les participants à cette fabrication doivent respecter
des tabous alimentaires, comme celui de ne pas
consommer de la graisse de porc, d’anguille ou de
poisson-chat (Arius sp.). Ils doivent se nourrir seulement
de légumes cuits et de chair de noix de coco
mais ils peuvent également consommer des plantes
magiques mélangées avec de la noix d’arec. Ils ne
doivent surtout pas avoir de relations sexuelles durant
toute la durée de leur travail. La transgression
de l’un de ces tabous risquerait de nuire à l’effi cacité
de l’objet en cours de fabrication.
La mise en place se fait parfois longtemps après
la fi nition de la toiture et de la couverture, car il
faut absolument que les mâts qui vont supporter
ces faîtières soient posés. Lors de la mise en place
des sculptures de pignon, base de ces mâts (fi g. 10),
leur extrémité supérieure est passée à travers l’orifi
ce d’une pièce de bois sculptée en forme d’oiseau
faucon ambungawi (Milvus migrans) fi xée horizontalement
à l’extrémité de la poutre faîtière de
la maison (Schindlbeck, 1985, Hauser-Schaüblin,
1989 : 393). Ce rituel semble ainsi représenter
l’acte sexuel primordial, ce que semble confi rmer
Bateson (1971 : 151) : « L’acte sexuel masculin est
nettement associé à la violence et la fi erté. » Ces
diverses manipulations requièrent la fabrication
d’un échafaudage spécial au droit de chacun des
pignons, ce qui permet aux hommes chargés de
la pose des sculptures faîtières d’accéder à la partie
supérieure considérée comme un nid (fi g. 16).
Une grande fête est alors organisée réunissant les
lignages paternel et maternel de l’ancêtre associé
à la faîtière. Les hommes chargés de la pose sont
soumis également à divers tabous sexuels et alimentaires.
Des paroles magiques sont prononcées
durant cette cérémonie afi n que l’installation se
passe dans les meilleures conditions et que l’effi -
cacité de cet emblème soit maximal. Les femmes
viennent danser en chantant autour de la maison,
alors que les hommes fi xent solidement la sculpture.
Cette cérémonie clôture ainsi les divers rituels
associés à la construction d’une maison ngekau qui
peut durer plusieurs années. Selon Margaret Mead
(1963 : 214), des coutumes différentes existaient
chez les Chambri : « Lorsqu’on bâtit une de ces
cases, les fl èches sont d’abord construites légèrement
en clayonnage et, à leur sommet, on fi xe
deux oiseaux, l’un mâle, l’autre femelle, également
en clayonnage. Plus tard, lorsque les constructeurs
auront le temps, les fl èches seront soigneusement
recouvertes de chaume et les oiseaux en osier remplacés
par des ornements plus lourds, oiseaux en
bois dont les ailes émergent d’une forme humaine. »
En 1988, Beny Nagondambui du clan Mbowi du
village de Palimbeï nous a décrit (Coiffi er, 1994 :
1092-1093) une cérémonie de mise en place de
cette sculpture dans un village iatmul. « Les maternels
arrivent tous, très contents, hommes, femmes
et enfants, tout le monde participe à ces festivités.
Nous allons placer, au sommet de la maison des
hommes, une femme avec une robe de fi bres portant
un grand oiseau comme un calao kokomo
(Rhyticeros plicatus) dans son dos. Nous la plaçons
en haut, c’est le ngawi. (…) Autrefois, avant
de placer cette chose au sommet de la maison les
anciens attendaient un peu, ils frappaient les tambours
kwangu et faisaient la guerre. Ils blessaient
un homme avec une lance et le rapportaient au
village. Ils exécutaient une danse circulaire devant
le pignon de la nouvelle maison, puis lorsque la
sculpture était fi xée sur le faîtage, l’homme était
exécuté. »
FONCTIONS DE CES SCULPTURES
Au début des années 1930, Bateson (1971 : 151)
enregistre quelques informations concernant ces
sculptures oiseaux : « Les indigènes disent clairement
que l’aigle est le kau du village. Kau est un
mot qui signifi e "un groupe de razzieurs", "force de
combat". » Il nous apprend que, durant la cérémonie
de mise en place, l’oiseau est censé parler. En
fait, la base évidée de la sculpture étant fabriquée
comme un tambour, elle peut résonner lorsqu’on
la frappe. Le regard de l’oiseau surveille, au loin, le
pays des ennemis qu’il perçoit comme « des oiseaux
en train de nettoyer leurs plumes » ou des « poissons
FIG. 25 (CI-DESSOUS) :
Tambour d’eau. Région du
Moyen Sepik, PNG.
Fundación La Fontana,
inv. FI.2011.02.21.
FIG. 26 (CI-DESSOUS) :
Deux sculptures récentes,
destinées à la vente . Village
iatmul de Palimbeï, PNG.
Collection privée.
DOSSIER