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De Chisel
à Mataora
L’art maori du marquage de la peau
Par Crispin Howarth
FIG. 1 (CI-DESSUS) : Entonnoir kĿrere.
Région de Muriwhenua, Cap Nord, Aotearoa. Avant 1793.
Bois. 9,5 x 11,2 x 13,8 cm.
Ex- chef To-ko-kee, tribu Muriwhenua, Cap Nord, Nouvelle-Zélande ; gouverneur Philip
Gidley King, 1793.
South Australian Museum, Adélaïde, inv. A.35469.
Cet entonnoir kĿrere est un des plus anciens trésors, taonga, de l’art
maori en Australie. De tels objets servaient à nourrir de bouillon,
waikĿhua les individus de haut rang après qu’ils avaient reçu leur
moko, ce qui aidait à prévenir des infections. Le processus du tā
moko comprenait des restrictions tapu relatives à la nourriture.
Comme le décrit David Simmons (1984) : « La tête d’un chef était
très tapu. Les aliments cuits ont la propriété de supprimer ou de
diminuer ce caractère tapu. Si des aliments touchaient les lèvres
alors que celles-ci étaient encore à vif à la suite du tatouage, ceux-ci
auraient éliminé le caractère tapu du travail et entraîné son échec. »
Cet entonnoir en particulier présente des motifs inachevés ainsi que
des signes d’usure. Bien que nous ne sachions rien de la personne
ayant confectionné ce kĿrere et de ceux qui auraient pu l’utiliser,
son histoire est liée à l’enlèvement de Tuki Tahua et de Ngahuruhuru
(ou Te Huru-kokoti) par le capitaine Hanson et l’équipage du HMS
Daedalus en avril 1793.
Tahua et Ngahuruhuru ont été emmenés aux îles Cavalli, au nord
de la baie des Îles, à la demande du gouverneur Philip Gidley King
de trouver des Maoris appropriés pour enseigner aux colons de la
nouvelle colonie de l’Île Norfolk la culture et le travail du lin utilisé
dans la fabrication des cordes et des voiles. Arrivés à la colonie en
mai 1793, ils ne furent pas de grande aide car Tahua était le fi ls d’un
prêtre et Ngahuruhuru principalement un guerrier. Aucun des deux
n’avait donc eu de raison de s’intéresser au lin. Pendant plusieurs
mois, les deux hommes vécurent avec le gouverneur King jusqu’à
celui-ci organise leur rapatriement à bord du Britannia. Ce navire
marchand atteignit Cap Nord en Nouvelle-Zélande en novembre
1793, mais le mauvais temps limita sa progression vers le sud pour
rejoindre les îles Cavalli. King rencontra le chef To-ko-kee de la
tribu des Muriwhenua et lui demanda de lui assurer la traversée en
toute sécurité de Tahua et de Ngahuruhuru. Cette requête impliqua
l’échange de cadeaux entre To-ko-kee et King, dont le kĿrere. Cet
objet s’est par la suite retrouvé au South Australian Museum. Il s’agit
de l’un des premiers objets connus, constituant des taonga maoris,
à avoir été collecté après la dernière visite de Cook en Nouvelle-
Zélande en 1777.
L’art maori du ta moko, ou marquage
de la peau, existe depuis des siècles. Si la pratique
du moko (tatouage maori) avait quasiment disparu
au début du XXe siècle, cet art corporel a connu
une résurgence ces vingt dernières années et, à ce jour,
davantage de Maoris portent les marques de leur héritage
qu’à la fi n du XIXe siècle. L’exposition de la National
Gallery of Australia intitulée Maori Markings:
Ta Moko examine cette forme unique d’art corporel
en documentant sa pratique du XVIIIe siècle jusqu’à
nos jours à travers les toiles, illustrations, sculptures
et autres objets connus. L’art du moko s’observe sur
la plupart des sculptures sur bois maories traditionnelles.
Ses représentations y sont souvent plus fi dèlement
reproduites que sur les dessins et les peintures de
colons européens. En outre, l’introduction de la photographie
au milieu du XIXe siècle a considérablement
amélioré notre connaissance de l’art du moko.
Le ta moko trouve ses origines dans l’art polynésien
du tatau, connu sous diverses appellations à travers
les territoires de Rapa Nui (l’île de Pâques), d’Hawaï,
des îles Marquises, de Tahiti, des Tonga et des Samoa.
Toutefois, en Aotearoa (Nouvelle-Zélande), cette pratique
s’est développée de façon unique. Introduit en
Europe il y a près de deux cent cinquante ans grâce
aux voyages de James Cook, le terme tatau est rapidement
devenu le mot « tatouage » que nous connaissons
aujourd’hui en français ; il fait référence à la piqure et
au marquage permanent de la peau à l’encre. En Aotearoa
ancestrale, la pratique du tatau s’est développée
différemment ; aussi l’art du ta moko se pratiquet
il avec des outils ressemblant à des poinçons (uhi)
qui ne piquent pas la peau, mais qui s’apparentent
davantage à des outils de sculpture sur bois. Les fi nes
pointes entaillent profondément la peau, l’éliminant
par endroits et laissant crêtes et sillons incisés.
Les hommes et les femmes arborant des moko faciaux
sont connus sous les termes respectifs de moko
kanohi et moko kauae. Au début du XIXe siècle, le
droit de porter des marques moko faisait l’objet d’un