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et de militaire, mais aussi éradicateurs du trypanosome,
impitoyable agent de la maladie du sommeil.
Lors de son séjour à Yaoundé, la mission
aurait d’ailleurs pu passer devant l’hôpital qui
porte toujours le nom du médecin et le monument
lui rendant hommage.
On pourrait également porter à leur attention,
en plein coeur du quartier Louis à Libreville, la
statue de l’abbé Raponda-Walker, encyclopédiste
vénéré au Gabon malgré ses dons au musée d’Ethnographie
du Trocadéro. Peine perdue, les experts
vouent les gens d’église aux gémonies et semblent
regretter que les musées missionnaires ne fassent
pas partie du périmètre de leur inquisition. En
quelques lignes lapidaires, l’objectif des collectes
missionnaires est caricaturé et renvoie au cliché
élimé et réducteur représentant le prêtre, soutane
battante sur les mollets et casque colonial de travers,
échangeant de « sanglantes idoles » contre
des statuettes de sainte Bernadette.
Une deuxième catégorie épinglée, les missions
ethnographiques, désormais « raids scientifi ques »,
sont tous jugés à l’aune de la peu exemplaire
expédition Dakar-Djibouti de 1931. Comparer
les prix payés par Marcel Griaule et Michel
Leiris, directement dans les villages avec l’appui
des autorités locales, aux résultats des ventes aux
enchères parisiennes de collections déjà célèbres
à l’époque, n’a pas de sens ; cet argument en dit
long sur la méconnaissance du marché des oeuvres
d’art, de la chaîne des intermédiaires, des compétitions
d’ego en salles de vente… bref des mécanismes
qui auraient pu être expliqués aux deux
« experts » si toutefois un membre compétent
de la profession avait été consulté. Estimer léonines
toutes les transactions commerciales entre
colonisateurs et colonisés, sous le prétexte de la
sujétion dans laquelle ces derniers étaient tenus,
est la marque d’une grande condescendance à
leur égard. Nier l’habileté des négociateurs africains,
rompus de longue date aux échanges, et
la rapidité avec laquelle les sculpteurs et autres
intermédiaires ont très tôt satisfait et même anticipé
les demandes des acheteurs occidentaux,
marque une ignorance de l’histoire de la collecte.
Parmi les quatre cent trente-cinq objets rapportés
en 1936 par le « raid scientifi que » d’Henri
Labouret en Côte d’Ivoire, le musée d’Abidjan
aura du mal à trouver, au milieu des sculptures
façonnées à la va-vite et autres copies, beaucoup
des « chefs-d’oeuvre » que le pays revendique
désormais.
En conclusion, ces demandes de restitution
doivent donc être accueillies favorablement « à
moins que n’existent des témoignages explicites
du plein consentement des propriétaires ou gardiens
des objets au moment où ils se séparent de
tel ou tel d’entre eux ». Une telle hypocrisie serait
risible si le sujet n’était aussi sérieux. Peut-on
imaginer Louis Desplagnes, sur la falaise de Bandiagara
en 1905, réclamant des reçus au chef de
village de Sangha ? En l’absence d’attestations de
sécurité sociale dûment remplies, doit-on croire le
docteur Lheureux lorsqu’il rapporte qu’en 1927,
dans la région d’Assinie en Côte d’Ivoire, il pratiquait
des circoncisions que ses patients, reconnaissants
d’avoir bénéfi cié d’une anesthésie, lui
réglaient en statuettes krinjabo déclassées ?
Les objets entrés dans les collections muséales
françaises après les indépendances sont épargnés
à la condition, toutefois, que les conservateurs
soient à même de produire un témoignage
établissant qu’ils n’ont pas été acquis « dans des
conditions avérées de trafi c illicite ». Établir cette
preuve, dont l’inversion de la charge constitue une
première juridique – Actori incombit probatio –,
va s’avérer impossible dans la plupart des cas. Les
fonds de tiroir eux-mêmes n’ont pas été négligés
puisqu’il est recommandé de bien vérifi er si des
dons ou acquisitions récents ne furent pas collectés
pendant la période coloniale par un aïeul du
cédant, offi cier marsouin ou autre commandant
de cercle. Si certaines oeuvres avaient toutefois miraculeusement
échappé à cette rigoureuse censure,
il est suggéré de rajouter au pot quelques-unes
d’entre elles au cas où elles représenteraient un
intérêt scientifi que pour le pays requérant. Pour
résumer, nos amis africains sont tous conviés à
un grand buffet républicain gratuit et sont courtoisement
mais fermement incités à se resservir à
volonté ! Il est également prévu que les convives
puissent emporter avec eux recettes et menus
puisqu’archives, fi lms, bandes-son et photographies
conservés dans les musées publics semblent
devoir faire partie du voyage.
Madame Savoy rassure : « Il ne s’agit pas de
vider les musées français », ce en quoi on ne peut
que lui donner raison tant il est peu probable que
les conservateurs africains veuillent s’embarrasser
des pointes de lance, vieilles chaussures, débris
ART ET LOI