65
productions artistiques les plus importantes
et les plus florissantes du Nigeria ancien.
C’est Olfert Dapper, dans sa Description de
l’Afrique publiée à Amsterdam en 1668, qui donne
un premier aperçu de la ville, du roi – l’oba – et des
habitants du royaume. L’oba, seigneur absolu du
royaume, aidé par des fonctionnaires et des notables,
dirigeait une organisation étatique presque
parfaite. Il employait l’armée et des corporations
d’artisans efficaces qui travaillaient principalement
avec du bronze coulé et de l’ivoire,
créant des objets destinés au culte et à la
célébration du souverain. Le texte de Dapper
n’omet pas la description du palais royal,
cité comme un énorme et superbe « château »
quadrangulaire, composé de très nombreuses
pièces et d’un toit « (qui) repose sur des colonnes
de bois recouvertes de bas en haut
par des plaques sur lesquelles sont représentés
leurs actes de guerre et leurs batailles »1.
Ces plaques, ainsi qu’une sélection de sculptures,
sont présentées dans cette quatrième section, sous
la direction d’Armand Duchateau. Ces artefacts
exceptionnels – non seulement en bronze, mais
aussi en terre cuite et en ivoire – ont été révélés
après la sanglante expédition punitive britannique
de 1897, lorsque l’oba fut déposé, la capitale pillée
et des milliers d’oeuvres importées en Europe pour
être ensuite vendues.
La cinquième partie présente un art, une histoire,
encore une fois différents des autres. Il s’agit
des « ivoires afro-portugais », véritables « oeuvres
hybrides » réalisées entre le XVe et le XVIe siècles
par les talentueux artistes Sapi du Sierra Leone,
les Bini du Bénin ancien et les Kongo de l’actuelle
RDC. Ces objets témoignent de la façon dont,
dans le domaine artistique, les éléments africains
et occidentaux ont fusionné pour créer un extraordinaire
syncrétisme culturel né de l’interaction
d’éléments iconographiques et stylistiques issus
des deux cultures. L’humaniste morave Valentim
Fernandes, dans sa Description de la côte occidentale
de l’Afrique, rapporte que « en Sierra Leone,
les hommes sont très raffinés et très ingénieux,
c’est-à-dire qu’à partir de tout ce qu’on leur demande
de faire, ils font des oeuvres en ivoire tout
à fait merveilleuses à voir, c’est-à-dire qu’ils font
des cuillers, d’aucuns des salières, d’aucuns des
poignées pour dagues et tout autre travail raffiné
»2. Comme l’explique dans le catalogue Ezio
EX AFRICA
Bassani, également curateur de
cette section, « une soixantaine de
salières, trois pyxides, deux poignées pour dague,
une douzaine de cuillers, trois fourchettes à deux
dents et plus de quarante oliphants réalisés entre
1490 et 1530 »3 nous sont parvenus. Ce qui ressort
ici, c’est la reconnaissance initiale par les
Européens des talents artistiques des sculpteurs
africains qui, habitués à sculpter l’ivoire, ont
su créer des objets très sophistiqués, qui ont
pu dès lors être conservés comme de véritables
trésors dans des collections privées et dans
les wunderkammern (cabinets de curiosités)
de familles royales, de notables et d’érudits
ayant vécu entre le XVe et le XVIe siècle.
La sixième section, conçue par Gigi Pezzoli,
attire l’attention sur un fait historique
et artistique crucial (qui fera l’objet
d’un article à venir) : l’inauguration, le
4 mai 1922, de la XIIIe Exposition internationale
d’art de la cité de Venise, la future Biennale
d’art, la deuxième édition organisée après la
guerre. Dans le cadre de la rétrospective grandiose
dédiée à Antonio Canova à l’occasion du centenaire
de sa mort, une petite salle consacrée à la
« sculpture nègre » avait été conçue par deux commissaires
exceptionnels : Carlo Anti, alors jeune
FIG. 6 (CI-DESSOUS) :
Figure agenouillée. Delta
intérieur du Niger, Mali.
1050-1350.
Terre cuite. H. : 22,5 cm.
Collection privée. © Frédéric Dehaen,
Bruxelles.