DOSSIER
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affl uent du Sepik, une représentation d’aigle en vannerie,
ailes déployées, était placée à l’avant d’une
pirogue de guerre victorieuse lors de son retour au
village15. Il n’est pas exclu que la tête trophée fût placée
dans l’orifi ce ménagé à la base de cet emblème.
Il est donc probable que les « boucliers de pirogue »
munis également de deux ailes aient eu une fonction
complémentaire de celle des oiseaux de faîtage.
De ces diverses informations, il ressort que ces
sculptures sont l’expression de la force guerrière,
de la bravoure et du courage des hommes qui
ont construit l’édifi ce cérémoniel. Cette fusion de
l’homme et de l’oiseau a été commentée par Heinz
Kelm (1966 : 28) et par Otto Reche (1913, 140f.
361, 395), qui perçoit dans le dualisme hommeoiseau
une réminiscence de mythes austronésiens.
Frieda Rosenthal (1969 : 26),
quant à elle, imagine l’aigle comme l’alter
ego de l’homme guerrier. August Eichhorn
(1929 : 71-78) a une vision toute chrétienne de
ces motifs : « Ici un oiseau aux ailes largement déployées,
l’une des ailes plus haute que l’autre pour
montrer qu’il s’élance vers les hauteurs. La tête et
le cou se dressent verticalement comme s’il voulait
s’élever dans l’éther, entraînant avec lui la forme
humaine à la tête de laquelle s’agrippent ses serres.
C’est l’oiseau représentant l’âme qui s’échappe du
corps du moribond à la fi gure crispée par l’angoisse.
» (fi g. 17).
Nos informateurs nous ont dit qu’ils considéraient
cette sculpture comme un homme réel « gardien
» de la maison cérémonielle. Il surveille l’arrivée
d’éventuels ennemis ; si ces derniers s’approchent
du village, alors l’oiseau s’envole et signale leur présence
aux guerriers. Il ne fait donc pas de doute
que ces sculptures étaient des emblèmes associés à
la virilité et à l’agressivité des hommes abrités par
chacune de ces maisons cérémonielles.
FIG. 28 (CI-CONTRE) :
Sculpture faîtière provenant
du village iatmul de Malingeï.
PNG.
Collectée par le père J. Heinemans
dans les années 1960.
Avec l’aimable autorisation de la
galerie Alain Bovis, Paris - photo :
Vincent Luc - Agence Phar.
Jadis, en temps de guerre,
chaque maison cérémonielle
iatmul se trouvait sous la responsabilité
de deux hommes,
symbolisés par deux oiseaux. Le premier, le kaulagwa13
se parait comme un grand guerrier alors que
le second, le selalagwa14 se travestissait en femme.
Avant un combat, ce dernier faisait le tour du village
en imitant la danse d’un gallinacé pour rassembler
la population sur la place cérémonielle. Le kaulagwa
grimpait sur une plate-forme d’où il haranguait
les hommes pour partir se battre ; il imitait alors
le cri de l’aigle pêcheur (Coiffi er, 2007 : 247-248).
Selon un témoignage d’Aufenanger (1975 : 54-55),
recueilli dans un village chambri, lorsqu’une tête
coupée avait été déposée sur la pierre plate du waak
devant le fronton de la maison cérémonielle, les
hommes et les femmes dansaient autour et ils chantaient
ainsi : « C’est le grand pouvoir de notre oiseau
totémique, c’est l’aigle qui se trouve sur le faîtage de
la maison cérémonielle qui a tué l’ennemi. » Haberland
(1968 : IX et fi g. 37) rapporte que lors des raids
de chasse aux têtes chez les Ewa du fl euve Karawari,