SCULPTURES FAÎTIÈRES DU SEPIK
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SCULPTURES FAÎTIÈRES DE LA MAISON
WOLIMBIT DU VILLAGE DE KANGANAMAN
Les grandes maisons cérémonielles ngekau et particulièrement
leur toiture avaient une durée de vie
moyenne d’environ vingt à trente ans. La maison
Wolimbit du village de Kanganaman, construite
dans les années 1945, fut déclarée National Cultural
Property en 1967. Elle a subi diverses restaurations
et demeure actuellement le seul édifi ce
qui puisse donner une idée des ngekau d’antan.
Elle n’a pas de cloisons extérieures, si bien qu’il
est possible de distinguer aisément sa structure de
charpente (fi g. 19). La maison qui se trouvait au
même emplacement en 1932, photographiée par
Gregory Bateson (1971 : pl. VII), montre que des
cloisons de palmes entouraient à cette époque tout
le périmètre de la charpente. Les oiseaux des sculptures
faîtières de la maison Wolimbit présentent la
particularité de n’avoir pas leurs ailes déployées,
contrairement aux autres sculptures de la majorité
des maisons cérémonielles du Sepik. Plusieurs
d’entre eux se trouvent maintenant conservés dans
des musées, comme celui nommé Woliyangengawi
qui fut acquis par l’ethnologue français Jean Guiart
lors d’une mission en 1965-1966 (fi g. 20). Selon
Mark Ruff (1981 : 13), un nouvel oiseau de faîtage
nommé Kuadimi et appartenant au clan Yapu fut
sculpté en 1978 pour la partie avant de l’édifi ce. La
sculpture arrière appartenant au clan Miembi était
alors dénommée Bapadui. Elle remplaçait les anciennes
sculptures réalisées en 1962 par un homme
nommé Yanaui. Celle de la partie avant de la maison,
appartenant au clan Miembi, était dénommée
Kraujawa et celle de la partie arrière, appartenant
au clan Sui, Waliyagonaru. Ces deux sculptures
furent acquises par le Muséum and Art Gallery
de Port-Moresby en 1981(Craig, 2010 : 63). La
partie avant de l’édifi ce fut détruite en 1980 par
un violent tremblement de terre. Un nouvel oiseau
fut donc réalisé (fi g. 21). Lors de notre séjour en
1988, la sculpture du côté avant nous fut présentée
comme s’appelant Ngawidjawa et celle du côté
arrière, Woliyangengawi. Nous constatons ainsi
que les sculptures de chaque génération semblent
avoir des noms différents. En effet, chez les Iatmul,
chaque objet important possède, comme les
humains, des dizaines de noms ancestraux. Il est
fort probable que ces différents noms constituent
une sorte de généalogie des diverses sculptures réalisées
par les générations précédentes.
Comme nous l’avons vu ci-dessus les sculptures
faîtières de chacune des extrémités de l’édifi ce sont
solidaires de mâts dont la base sculptée sous la
forme d’une femme16 aux jambes écartées repose
sur les poutres entraits. Les orientations des faces
de ces diverses sculptures revêtent donc une importance
particulière. En haut, le personnage et l’oiseau
regardent dans la même direction vers l’extérieur,
soit vers l’amont soit vers l’aval du fl euve,
FIG. 29 (CI-DESSUS) :
Sculpture faîtière provenant
du village iatmul de Malingeï,
PNG.
Museum der Weltkulturen de
Francfort-Sur-le-Main.
selon les pignons. En bas, à la base
des deux mâts, les personnages féminins
regardent chacun vers l’extérieur
de l’édifi ce, alors que derrière eux leurs
sont opposés des personnages masculins
regardant vers l’intérieur. Ainsi, les sculptures
faîtières se dressent vers le ciel et vers
la lumière (durant la journée, évidemment) ; elles
sont visibles par tous les membres de la communauté,
alors que dans la majorité des maisons les
sculptures de pignon sont orientées vers la terre
et se situent dans la pénombre du « ventre » de
la maison, elles sont cachées, et seuls les hommes
initiés peuvent les voir (excepté dans la maison
Wolimbit). La compréhension de la fonction de
ces sculptures faîtières n’est ainsi possible qu’en les
percevant comme une partie d’un ensemble cohérent
comprenant toute la charpente de la maison
cérémonielle (fi g. 22).
LES SCULPTURES FAÎTIÈRES DANS LES COLLECTIONS
PRIVÉES ET PUBLIQUES
Avant la guerre du Pacifi que (1942-1945), il y
avait plusieurs dizaines de ces grands édifi ces dans
la vallée du fl euve Sepik. Chacune de ces maisons
cérémonielles possédait une paire de sculptures faîtières
; il est donc possible d’estimer à plus d’une
centaine celles réalisées durant un siècle. Il apparaît
que ces objets ont été, après leur usage, plus
aisément cédés à des étrangers que les « tabourets
d’orateur » (Garnier, 2018). C’est ainsi que de