ART + LOI
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De la possibilité
du commerce de
l’ivoire ancien Par Yves-Bernard Debie
Les partisans d’une interdiction aveugle
et totale ont perdu : le régime déclaratif instauré
par l’arrêté du 4 mai 2017 encadre le commerce de
l’ivoire ancien mais sans oblitérer des siècles d’art
et de culture.
Que les acteurs, collectionneurs et marchands,
qui cette année encore participent à cette grandmesse
des arts premiers, ce véritable « Parcours des
mondes », qui se tient à Paris début septembre, se
rassurent : en France le commerce des oeuvres et
objets d’art anciens en ivoire n’est pas interdit !
C’est le principal enseignement que nous choisissons
de retenir de l’arrêté du 4 mai 2017, qui
a très largement modifi é celui tant décrié du 16
août 2016 « relatif à l’interdiction du commerce de
l’ivoire d’éléphant et de la corne de rhinocéros sur
le territoire national ».
Terminée l’hystérie, les petites phrases mal inspirées
de la ministre de l’Écologie et les sermons
des militants des ONG. Pour les objets « fabriqués
» dans de l’ivoire d’éléphant ou de la corne
de rhinocéros avant le 2 mars 1947, une « simple »
procédure déclarative sera requise. Ceux dont la
proportion d’ivoire ou de corne de rhinocéros est
inférieure à 20 % en volume ne sont en outre soumis
à aucune restriction, ni déclaration.
Précisons encore que pour les objets fabriqués
après le 2 mars 1947 et avant le 1er juillet 1975,
date d’entrée en vigueur de la Convention de
Washington, dite CITES, (Convention sur le commerce
international des espèces de faune et de
fl ore sauvages menacées d’extinction), si la masse
d’ivoire ou de corne présente est inférieure à 200
grammes, des dérogations peuvent être accordées
dans les conditions prévues par le Code de l’environnement
(Articles L. 411-2 et aux R. 411-6 à
R. 411-14). D’autres dérogations, sans infl uence
sur le commerce des arts premiers, sont également
mises en place.
Les esprits chagrins se plaindront sans doute à
raison de ce qui apparaît comme un juridisme inutile
fruit d’une certaine improvisation (Pourquoi le
2 mars 1947 ? Pourquoi ces seuils établis à 20 %
en volume ou à 200 grammes ?) et une trop grande
confi ance en l’effi cacité des administrations qui
seront chargées de mettre en place la procédure
déclarative et la base de données nationale.
Il nous faudra pour en juger attendre la publication
du décret annoncé qui en défi nira les
conditions.
Dans l’intervalle, l’arrêté du 4 mai 2017 et le
régime déclaratif qu’il instaure consacre le quasimonopole
de l’expert qui, à défaut de documents
probants antérieurs à 1947 – rares en pratique – ou
du recours à la radio-datation, pourra seul attester
de l’ancienneté des oeuvres qui seront déclarées et
inscrites dans la « base de données nationale ».
L’article 2ter de l’arrêté du 4 mai 2017 prévoit
en outre clairement que « l’ancienneté des spécimens
doit être établie par le détenteur » c’est à dire,
en pratique, à ses frais…
Si le combat contre le trafi c illégal de l’ivoire
d’éléphant ou de la corne de rhinocéros qui menace
d’extinction ces espèces est louable, indispensable
même, et partagé par tous les êtres dotés de raison,
c’est une bien curieuse application du paradoxe
de l’oeuf et de la poule qui voit dans le commerce
d’objets d’art ancien l’une des causes des braconnages
actuels.
Selon les associations de protection de la nature,
plus de vingt mille éléphants ont été tués en toute
illégalité pour leur ivoire rien qu’en 2016 et il n’en
subsisterait plus que 415 000 en Afrique, selon le
Fonds mondial pour la nature (WWF). C’est évidemment
une tragédie qu’il faut endiguer, mais
on n’aperçoit pas en quoi interdire la vente d’une
miniature peinte sur une plaque d’ivoire au XIXe
siècle ou d’un pendentif ikoko pende (RDC) sculpté
en 1910 pourrait empêcher ces massacres bien
contemporains.
Rappelons que la France, à l’instar de
l’Allemagne et du Royaume-Uni, avait déjà pris en
2015 une série de mesures censées lutter contre le