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d’une prise de vue classique de paysage. Elle donne
le plus souvent à voir des individus autochtones
posant dans des attitudes souvent incongrues, ou du
moins inattendues, dans des lieux peu défi nis mais
symboliquement très forts : le bord de mer, voie
d’entrée des colons occidentaux – Civilised (2012)
(fi g. 5-7) –, ou encore les terres de l’arrière-pays,
si chères aux populations aborigènes – Stickman
(2011) (fi g. 1 et 11), The Mission (2011) (fi g. 8-10).
Chacune des scènes ainsi créées fait référence à des
faits historiques, passés ou présents, sur lesquels le
spectateur est invité à porter un regard critique. La
série Undiscovered, par exemple, remet en question
l’idée de la découverte de l’Australie à la suite du
débarquement du capitaine Cook en avril 1770.
Un regard attentif à l’oeuvre #4 de cette série suffi t
pour comprendre l’absurdité de cette prétention
de découverte d’un territoire habité depuis plus de
soixante mille ans par des populations autochtones.
Sur cette image, les rôles sont inversés : ce n’est pas
un conquérant européen qui est montré, mais un
homme aborigène en uniforme posant sur le rivage
avec, en arrière-plan, un navire aux voiles déployées.
Composée de treize photographies, la série
Mother aborde un sujet plus récent mais non moins
sensible : le vol de bébés aborigènes et métis à leurs
familles et leur placement dans des orphelinats ou
centres chrétiens, dans le cadre d’une politique
d’assimilation forcée soutenue par les autorités
FIG. 11 (CI-DESSOUS) :
Stickman #5. 2010.
Impression jet d’encre sur papier.
Avec l’aimable autorisation de Michael
Cook & Andrew Baker Art Dealer,
Brisbane.
pendant près d’un siècle, jusqu’en 1969 environ. La
souffrance provoquée par cette injustice se ressent
dans la solitude de cette femme aborigène tirée à
quatre épingles suivant les codes esthétiques des
années 1960, qui cherche à photographier l’enfant
absent sur un cheval à bascule dressé au milieu du
désert (fi g. 3) ou qui attend patiemment qu’une balle
lui soit envoyée depuis la partie opposée d’un court
de tennis abandonné (fi g. 4), pour ne parler que des
images incluses dans ce portfolio.
Une thématique connexe est explorée dans The
Mission. Les dix photographies qui la composent
suivent le périple d’une femme aborigène depuis sa
terre d’origine jusqu’à la mission chrétienne. D’image
en image, on suit le processus d’assimilation de
cette femme qui non seulement adopte le vêtement
colonial pour couvrir son corps, mais se met
également à consommer du tabac et à pratiquer la
religion du Livre. Cette série se termine néanmoins
par une lueur d’espoir : sur la dernière photographie
(fi g. 10), la femme quitte la mission pour retourner
dans son lieu d’origine.
Cette liberté par rapport à l’histoire réelle que
Cook s’est autorisée renvoie le spectateur à la force
de l’art comme créateur de réalités alternatives,
comme véhicule de promesses d’un avenir meilleur
à la construction duquel tout un chacun est invité
à contribuer par l’exercice d’un regard lucide et
engagé sur le monde dans toute sa complexité.
MICHAEL COOK