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l’intérêt historique d’un objet et favoriser l’évaluation
d’une oeuvre dans le contexte au sein duquel elle a été
créée (ou du moins, utilisée), je crois également que
l’attention croissante portée aux provenances a eu
aussi des répercussions négatives. Tout d’abord, une
provenance associant un objet à un « découvreur »
ou à une personnalité infl uente – par exemple l’un
des premiers collectionneurs ou spécialistes de l’art
africain – a souvent laissé supposer à tort que tous les
objets étant passés entre les mains de cette personne
étaient forcément de qualité8. Ce raisonnement
revient à considérer que les premières personnes
à se passionner pour l’art africain possédaient
automatiquement les connaissances nécessaires
pour distinguer le « bon » du « mauvais ». En réalité,
cette discrimination repose sur la comparaison
systématique d’une multitude d’oeuvres appartenant
à la même famille. Durant les premières décennies
de « l’émancipation » de l’art africain en tant qu’art,
les points de comparaison étaient très souvent
indisponibles, voire inexistants. Il en va de même
concernant la distinction entre le vrai et le faux. Les
« premières collections », notamment quelques-unes
de celles qui ont été formées au début du XXe siècle
FIG. 21 (CI-DESSUS) :
Croquis de Frans M.
Olbrechts représentant la
porteuse de coupe luba (ex-
Heenen, ex-Delenne) abritée
aujourd’hui au Cleveland
Museum of Art.
MAS | Museum aan de Stroom, Anvers.
© Collectiebeleid Musea en Erfgoed,
Anvers.
INSCRIPTIONS
et qui sont aujourd’hui abritées dans divers musées
du monde – n’ont en effet pas échappé à la fraude.
Si nos connaissances ont évolué et que les
collections, tant publiques que privées, se sont
étoffées au fi l du temps, favorisant ainsi des
évaluations plus éclairées de la qualité et de
l’authenticité, nos goûts ont eux aussi changé. Un
objet jugé de bonne qualité et authentique à un
moment donné ne sera pas nécessairement évalué
de la même façon aujourd’hui. L’émergence de
moyens technologiques permettant d’analyser des
objets de manière plus approfondie que lors d’une
simple observation (notamment le recours à des
méthodes scientifi ques pour dater des objets) a
également contribué à changer les points de vue. En
outre, les oeuvres préférées par les collectionneurs
américains ne le sont pas forcément par les
Européens, ce qui accroît encore la dimension
subjective de l’évaluation de la qualité.
Dans le cas des collectionneurs qui mènent
également des activités de marchand – une pratique
courante dans le monde de l’art africain – les critères
d’évaluation sont différents selon que les oeuvres
sont conservées pour une collection personnelle ou
mises en vente. Autrement dit, et bien que ce ne soit
pas toujours le cas, un marchand qui collectionne
également des objets pour son propre plaisir aura
tendance à proposer à ses clients des oeuvres qu’il
juge moins importantes et de moindre valeur, tandis
qu’il conservera les meilleures pour sa collection.
Cette façon de faire entraîne par conséquent
une dichotomie entre la qualité de la collection
personnelle et celle des marchandises du vendeur.
Dès lors, le fait que le nom du marchand, célèbre
ou non, soit associé à un objet ne témoigne pas
nécessairement de la qualité de l’objet en question.
L’exemple de la collection africaine de la Barnes
Foundation de Philadelphie illustre parfaitement
la complexité de ces problématiques. Comme j’ai
tenté de le démontrer à travers ma contribution
à l’ouvrage édité par Christa Clarke en 2015, la
grande diversité des oeuvres d’Afrique centrale
fi gurant dans cette collection soulève des questions
majeures. Bien qu’elles aient toutes été acquises
par Albert Barnes auprès de l’infl uent marchand
parisien Paul Guillaume durant les premières
décennies du XXe siècle, bon nombre de ces
oeuvres sont relativement médiocres sur le plan
esthétique, tandis que l’authenticité de certaines
d’entre elles s’avère douteuse ou à tout le moins