MUSÉE À LA UNE
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du mauvais sort avec la parole du Prophète. Une
grande vitrine accueille un ensemble très beau de
ces fi gures de pouvoir que sont les minskisi, dont
beaucoup n’avaient pas été montrés au public
depuis l’exposition Medusa, voici déjà dix ans.
La fi gure ambivalente de Mami Wata est montrée
à travers divers dispositifs, dont un très beau
masque coloré collecté par Himmelheber (fi g.
12). Enfi n, l’importance de la gémellité, présentée
comme relevant du divin, est également soulignée
dans cette section avec un autel à jumeau dogon
(Mali) et une paire d’ibeji (Nigeria)…
T. A. M. : Mais toutes ces religions que le visiteur
découvre ne sont pas étanches…
B. W. : Effectivement ! Dans l’Afrique subsaharienne,
on naît, on vit et on meurt dans un
contexte religieux dont il est impossible de s’extraire.
La religion n’est pas simplement embrasser
une église, c’est un mode de vie où plusieurs
réalités cohabitent. Même si vous êtes chrétien ou
musulman, vous êtes exposé à la magie, à la sorcellerie
et aux esprits.
Cette absence de barrières est un point essentiel
que la scénographie immersive conçue par Franck
Houndégla parvient très bien à exprimer. Artiste
d’origine béninoise, il a apporté une sensibilité
toute particulière à ce projet par sa proximité
avec cet univers qu’il connaît et qu’il aime. Le
résultat est un espace d’exposition relativement
peu cloisonné offrant une circulation assez libre
au visiteur, qui peut sauter d’une réalité à une
autre d’un simple regard. Le parcours est, de plus,
jalonné par de nombreuses sources acoustiques (les
installations de Theo Eshetu, qui ont toutes une
bande son, et plusieurs vidéos ouvertes) qui vont
constamment distraire le public de ce qui se trouve
face à lui pour l’inciter à aller au-delà.
Nous avons cherché ainsi à mettre en scène la
complexité du phénomène religieux en Afrique et
à suggérer la cohabitation, plus ou moins harmonieuse,
de réalités diverses. Nous avons également
souhaité évoquer un aspect assez caractéristique
en Afrique, à savoir la superposition, dans certains
contextes, du religieux et du profane. En effet,
dans bien des religions traditionnelles africaines,
particulièrement en milieu rural mais aussi dans les
villes, un grand événement religieux s’accompagne
de grandes festivités. Theo Eshetu montre cela
de façon magistrale dans son installation Trip to
Mount Zuqualla (fi g. 8), où, pendant le pèlerinage
des croyants et même pendant certains épisodes
de transe, le brouhaha règne. Cette confusion de
sons peut être très déroutante pour le visiteur occidental,
habitué à ce que le culte se déroule dans un
climat de solennité.
T. A. M. : Vous avez mentionné à plusieurs reprises
Theo Eshetu, artiste d’origine éthiopienne présent
dans les plus grands rendez-vous d’art contemporain,
tel la Documenta de Kassel et Athènes…
Comme dans les dernières expositions temporaires
du MEG, la photographie, le reportage et la création
contemporaine ont une place de choix dans
l’élaboration du discours. Pouvons-nous dire que
c’est la « marque de fabrique » de votre musée ?
B. W. : Oui, tout à fait. Mais cette démarche n’est
pas le résultat d’une quelconque stratégie de marketing
; elle naît de la conviction profonde que pour
aborder des sujets mêlant art, société et culture, il
est important de multiplier les perspectives et les
regards. Le succès d’une exposition comme Amazonie
(plus de 100 000 visiteurs au MEG et 210 000
lors de son itinérance à Montréal) tient, à mon sens,
à cette multiplicité de voix.
FIG. 10 : Jacques Faublée
(1912-2003), Monument
funéraire orimbatu,
Madagascar, Marovala.
1940.
MEG Inv. ETHPH 407198.
Don de Véronique Guérin-Faublée
en 2008.