pas s’en émouvoir outre mesure, allant même jusqu’à
reprendre la devise des chevaliers de l’Ordre du Bain,
tria iuncta in uno (les trois réunis en un seul), pour
qualifi er leur relation triangulaire. Ce consentement
s’explique peut-être par son âge – il approche les
soixante-dix ans à ce moment-là – mais un autre
indice pourrait trahir l’intention réelle d’Hamilton,
comme en témoigne une lettre écrite en 1787 par l’artiste
128
Johann Tischbein, adressée à Johann Wolfgang
von Goethe (admirateur lui aussi d’Emma Hamilton
et friand de ses « attitudes ») :
Avant-hier, je suis allé rendre visite à Lord Hamilton
dans sa villa non loin du Pausilippe. L’on ne pourrait
imaginer plus belle vision sur Terre. Après le déjeuner,
une dizaine de jouvencelles allèrent nager dans la
mer – un spectacle grandiose. Les nombreux groupes
qu’elles formaient et les poses qu’elles prenaient en
s’ébattant ! Il les paie pour le faire, de sorte qu’il
puisse savourer ce plaisir chaque après-midi.7
L’épouse de Nelson, Fanny, se révèle moins compréhensive,
et fi nit par refuser de le voir ou de divorcer.
La belle-soeur d’Emma et de Nelson, Sarah,
déniche une maison de campagne meublée baptisée
Merton Place, à proximité de l’actuel quartier de
Wimbledon, que Nelson achète en 1801, dépensant
pratiquement tous les fonds à sa disposition.8
Désormais, dès qu’il revient en Angleterre, Nelson
occupe cette maison avec Emma, Horatia dans une
certaine mesure, et parfois Hamilton, propriétaire
quant à lui d’un appartement à Piccadilly. Hamilton
meurt en 1803, entouré apparemment de Nelson
et Emma. Merton Place est la seule propriété
de Nelson dans laquelle il ait jamais vécu (il avait
antérieurement acheté une maison pour Fanny). Sa
relation avec Emma se poursuivit jusqu’à sa mort à
Trafalgar, en 1805.
Revenons à présent à notre penu. D’après ce que
nous savons des penchants de Nelson, et à la lumière
des autres objets dont la provenance lui est attribuée,
il serait très étonnant qu’il ait fait l’acquisition d’un
objet de ce genre de son plein gré. Hamilton en est certainement
la source, et le fait que les deux hommes se
soient assidûment fréquentés entre leur première rencontre
en 1793 et la mort d’Hamilton en 1803 peut
aisément expliquer pourquoi Nelson s’est retrouvé en
possession de ce pilon. Comme mentionné précédemment,
le neveu d’Hamilton, Greville, connaissait bien
Joseph Banks, lui-même proche de Cook, mais l’on
a tendance à oublier qu’Hamilton était lui aussi un
ami proche de Banks. Les lettres qui ont subsisté
démontrent qu’ils ont entretenu une correspondance
suivie pendant de nombreuses années à propos de
sujets variés. En sa qualité de président de la Royal
Society, Banks encouragea Hamilton à contribuer
à la revue scientifi que de la société, Philosophical
Transactions. Les deux hommes étaient en outre
membres de l’infl uente Société des Dilettantes, tout
comme Greville (fi g. 13 et 14).9 Grâce aux recherches
méticuleuses d’Ezio Bassani, nous savons que c’est
Banks qui a rassemblé les quarante-trois objets issus
des expéditions de Cook offerts par Hamilton à
Ferdinand IV de Naples aux alentours de 1784 (fi g.
15) et conservés aujourd’hui dans la collection Pigorini
à Rome. L’on peut d’ailleurs identifi er certains
d’entre eux sur des illustrations réalisées par Sydney
Parkinson (fi g. 16 et 18) et John Frederick Miller.10
Peu importe qu’Hamilton se soit procuré ces artefacts
directement auprès de Banks ou par l’intermédiaire
de Greville, cette date les relie incontestablement
à Cook, puisqu’il n’y avait aucune autre source
à l’époque.11 Elle confi rme également que les objets
de Cook étaient aux mains d’Hamilton, lequel,
grand collectionneur devant l’éternel, n’aurait certainement
pas tout donné à Naples sans conserver
quelques objets pour sa collection personnelle.
Il convient de noter que Nelson a contacté directement
Banks via un courrier daté du 9 juillet 1803,
dans le cadre de la prise d’une corvette française
transportant « des caisses de je ne sais quoi, mais
sans doute des choses aussi précieuses que celles de
Lord Elgin … » (fi g. 19).12 Nelson écrit qu’il est en
train d’expédier ces caisses d’antiquités grecques à
Banks aux fi ns de leur éventuelle acquisition par la
Royal Society ou le musée. Le ton employé par Nelson
est cordial mais commercial, tandis que la lettre
ne fait référence à aucune relation antérieure entre
les deux hommes. Nous ne connaissons pas l’existence
d’une quelconque réponse à cette lettre.
Durant cette période, très peu d’objets du Pacifi
que devenaient la propriété de collectionneurs européens.
13 Dans ce contexte, l’axe Nelson/Hamilton/
Banks/Cook (avec ou sans Greville) est tellement
prépondérant que la possibilité de compter d’autres
intervenants est pratiquement nulle. De plus, les
cercles dans lesquels ces pièces bougeaient étaient
très restreints (fi g. 20). En ce qui concerne la chronologie,
l’époque la plus probable est celle de Merton
Place, entre 1801 et 1803, puisqu’il s’agit de la
seule fois où Nelson a pu disposer d’un lieu lui per-
HISTOIRE D'OBJET