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de constater à quel point les religions autochtones
africaines leur sont étrangères mais aussi,
je m’étonne toujours de constater que personne
ne pense à évoquer le christianisme, le judaïsme
ou encore l’islam, religions abrahamiques qui
sont pourtant pratiquées en Afrique depuis le
premier siècle de leur existence…
T. A. M. : Comment expliquez-vous cette méconnaissance
?
B. W. : Les raisons à cela sont multiples. Rappelons
tout d’abord que les religions africaines subissent
l’opprobre dès les premiers contacts avec l’Occident.
En effet, déjà en 1455, Nicolas V émit la fameuse
bulle pontificale Romanus pontifex par laquelle
il concédait au roi du Portugal Alfonso V et à ses
successeurs le droit de conquérir l’Afrique et de
convertir et réduire en esclavage les peuples qui y
habitaient. Dans ce contexte, éradiquer les religions
africaines apparaît comme une mission civilisatrice !
Et cette vision s’est prolongée jusqu’au XXe siècle,
largement diffusée pendant la période coloniale, au
cours de laquelle se produit le véritable engagement
de foi de la part des missionnaires. Ces derniers se
présentent comme prêts à subir le martyr, ce qui est
une autre forme d’extase…
À côté de cela, la méconnaissance du fait religieux
en Afrique tient aussi à la nature même de
ces pratiques, très atomisées et peu conquérantes.
Prenons l’exemple du culte aux ancêtres : cela va
sans dire qu’il n’aurait aucun sens dans un village
ou une communauté qui ne partagerait pas les
mêmes ancêtres. Dans le même ordre d’idées, si
l’on réfléchit au culte des esprits, on s’aperçoit
qu’il repose souvent sur des forces liées à des éléments
concrets du paysage – un bois, une rivière,
une montagne, etc. – que l’on ne peut pas déplacer.
Lorsqu’il s’agit d’entités physiques, on constate
fréquemment qu’elles ont pu être intégrées dans
différentes croyances, tels le vaudou béninois ou le
culte des orisha chez les Yoruba du Nigeria, suivant
une approche syncrétique.
Vaste et complexe, le sujet méritait d’être abordé
par une exposition. Non seulement il y avait beaucoup
à expliquer, mais il était important à mes
yeux de faire comprendre au visiteur que s’intéresser
aux religions en Afrique demande d’élargir
le champ de ce que l’on conçoit, dans nos sociétés
occidentales, comme une religion.
T. A. M. : Justement, comment avez-vous articulé
le discours de l’exposition ?
B. W. : Il suit le fil conducteur de l’extase, entendue
comme l’émotion intense suscitée par la
connexion du croyant vis-à-vis de la divinité,
l’ancêtre ou l’esprit qu’il vénère. Alors qu’en Occident
l’expérience religieuse est devenue plus une
question intime d’ordre spirituel et philosophique,
il me semblait intéressant de montrer la diversité
FIG. 2 (CI-DESSOUS) :
Christian Lutz (né en 1973),
Sans titre, Okerenkoko,
royaume de Gbaramatu,
Nigeria, delta du Niger. Mai
2010.
© Lutz / MAPS.
FIG. 3 (AU CENTRE) : Icône
de l’archange Michel
Bälaccäw Yemär (Belatchew
Yemer) (né en 1869 ou
1894 - 1957). Éthiopie,
Addis-Abeba. Vers 1920.
Parchemin, pigments. H. : 74 cm.
MEG Inv. ETHAF 021049.
Don de René Évalet en 1947.
© MEG, J. Watts.
FIG. 4 : Masque et costume
de danse chikunza. Angola,
Chokwe. XIXe siècle.
Fibres végétales, résine, textile,
peinture.
MEG Inv. ETHAF 019634-b.
Acquis de l’ethnologue Théodore
Delachaux en 1944.
© MEG, J. Watts.