HISTOIRE D'OBJET
En 1793, Nelson est à la tête d’un navire de guerre
dans la Méditerranée durant la guerre de la première
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coalition et est envoyé à Naples afi n d’assurer
la sécurité des renforts. Il y rencontre Ferdinand IV,
roi Bourbon des Deux-Siciles (Naples et la Sicile), et
Sir William Hamilton, ambassadeur britannique à
Naples (fi g. 6), ainsi que la nouvelle épouse de ce dernier,
Emma Hamilton (fi g. 7). Après des négociations
fructueuses, il quitte la ville pour se lancer à la poursuite
d’un navire français, non sans avoir eu au préalable
un aperçu du mode de vie fascinant d’Hamilton
et de son entourage. Nelson et Hamilton entament
alors une correspondance privée assidue.
Sir William Hamilton était un personnage intéressant.
Sa carrière politique, bien que longue, fut
anecdotique, mais il exerça une infl uence durable sur
l’art et la science. Hamilton est né en 1730 dans une
famille de marins renommés. Sa mère était proche
de Frederick, prince de Galles. Il grandit donc aux
côtés de son « frère adoptif » George William Frederick,
qui deviendra le roi George III. Il est nommé
ambassadeur à la cour de Naples en 1764, un poste
qu’il conservera jusqu’en 1800. Fervent collectionneur
de tableaux, de sculptures et d’objets de curiosité,
il s’intéresse particulièrement aux antiquités
classiques et rassemble une vaste collection de vases
de Grèce et de Grande-Grèce. Il publie sa collection
en 1766-67 dans un ouvrage en quatre volumes –
le premier d’une longue série (fi g. 9) – puis la vend
en 1771 au British Museum, qui vient d’ouvrir ses
portes. Hamilton était également un éminent vulcanologue
et ses travaux sur l’Etna et le Vésuve
sont toujours considérés comme des références
aujourd’hui. Sa demeure, le luxueux Palazzo Sessa,
était presque un passage obligé pour les adeptes du
Grand Tour, d’abord en raison de ses connaissances
sur Pompéi et Herculanum, et plus tard, pour une
tout autre raison, et non des moindres, sa deuxième
épouse, Emma.
Emma était un personnage bien différent. Reconnue
comme l’une des plus belles femmes de son
temps, elle fut le sujet d’innombrables tableaux,
dont beaucoup étaient commandés par Hamilton
lui-même.3 Elle est née Amy (ou Emy) Lyon aux
alentours de 1765 dans des circonstances malheureuses.
Dès 1781, elle est déjà passée par les célèbres
maisons closes de Kensington de Madame Kelly
et est la maîtresse de Sir Henry Fetherstonhaugh,
connu pour ses frasques nocturnes. Elle se fait appeler
Emma Hart à cette époque. Par l’entremise de
Fetherstonhaugh, elle rencontre puis devient la maîtresse
de Charles Greville (fi g. 8), frère du deuxième
comte de Warwick. Malgré ses maigres moyens,
Greville est un collectionneur d’art, probablement
à l’origine de la collection du château de Warwick
abritant des artefacts de Cook, qu’il s’était procurés
grâce à son ami Sir Joseph Banks (fi g. 10),4 le
naturaliste de la première expédition de Cook et luimême
collectionneur. Par ailleurs, il se trouve que
Greville est le neveu de Sir Hamilton. Il réalise que la
poursuite de ses activités passe par un mariage avantageux
(il aurait également cherché à être reconnu
comme l’héritier d’Hamilton). Il envoie donc Emma
chez son oncle à Naples en 1786, lui faisant croire
qu’il la rejoindrait. Emma fi nit par comprendre que
Greville l’a dupée et jette alors son dévolu sur Hamilton,
de trente-cinq ans son aîné. Ils se marient
en 1791, mais n’auront pas d’enfants. Emma devient
l’une des personnalités les plus en vue de la société
napolitaine et se lie d’amitié avec Marie-Caroline,
reine de Naples et soeur de Marie-Antoinette. Elle est
renommée pour ses « attitudes », une performance
artistique mêlant le tableau vivant répandu à cette
période à une version plus libertine, populaire dans
les maisons closes de l’époque. Vêtue d’une légère
robe fourreau et manipulant un châle, elle reproduit
les poses des sculptures antiques de son mari, ainsi
que de personnages fi gurant sur des tableaux connus
(fi g. 11), devant un public à la fois ravi et scandalisé.
En 1798, Nelson, promu amiral, fait son retour
en Méditerranée afi n de contrecarrer les plans de
Bonaparte, désireux d’envahir l’Égypte. De passage
en Sicile, il est envoyé à Naples en quête d’une
autorisation de ravitaillement urgent. On raconte
FIG. 8 (EN HAUT À
GAUCHE) : D’après George
Romney (1734-1802),
The Hon. Charles Francis
Greville, 1770-1799.
Huile sur toile. 64 x 62 cm.
Cake Abbey, National Trust, inv.
290419.
FIG. 9 (CI-DESSUS) :
Gravures de vaisseaux
grecs et italiens issues de
la seconde collection de
William Hamilton.
Plaques XXV, IV, XXXII, et XXXVII
tirées de « William Hamilton and
Johann Heinrich Collection of
Engravings From Ancient Vases Of
Greek Workmanship Discovered
In Sepulchers in the Kingdom of
the Two Sicilies but Chiefl y in the
Neighbourhood of Naples During the
Course of the Years MDCCLXXXIX
and MDCCLXXXX Now in the
Possession of Sir Wm. Hamilton,
His Britannic Majesty’s Envoy Extry.
and Plenipotentiary at the Court
of Naples », Naples : Tischbein,
1791–1795.