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LE MONDE DE L’ART TRIBAL a perdu l’un de ses plus fi dèles
serviteurs et véritable doyen. Loed van Bussel s’est en effet éteint à
Amsterdam, en mars dernier.
Loed a commencé sa carrière de marchand à l’adolescence. En
1956, à l’âge de vingt ans, il ouvre sa première boutique à La Haye,
où il propose des antiquités et du mobilier. Environ un an plus tard,
il achète son premier objet tribal, une petite statue songye, et ne
tarde pas à se consacrer exclusivement à ce domaine. Il rencontre
sa future femme, Mia, en 1964, et en 1970, le couple déménage à
Amsterdam et ouvre une galerie sur la Spiegelplein. Ils s’installent
ensuite en ville.
Loed était connu pour être un chasseur d’objets, à une époque
où il était possible de nouer des contacts en province avec des antiquaires
et de petits collectionneurs, qui avaient souvent des liens
avec la collecte sur le terrain du début du XXe siècle. Sa connaissance
de la langue et de la culture allemandes, qu’il tient de sa famille
maternelle, lui permet d’occuper une place importante. Outre ses relations
avec des marchands allemands de premier plan comme Ernst
Heinrich et Ludwig Bretschneider à Munich et la famille Konietzko
à Hambourg, il découvre de nombreuses collections particulières.
C’est avec le collectionneur de terrain allemand Thomas Schultze-
Westrum qu’il rencontre l’un de ses plus beaux succès. Il acquiert
d’abord un grand nombre des plus beaux objets de Schultze-Westrum
issus du golfe de Papouasie, mais parvient également avec ce
dernier à se procurer la collection ethnographique entière du musée
de la mission catholique de Hiltrup, en Allemagne, dont un véritable
trésor datant du début de l’ère coloniale. Loed cherchait également
des pièces en Angleterre et en Écosse, ainsi qu’en Suisse et en France.
Il était réputé pour son carnet d’adresses, où il consignait des renseignements
sur ses multiples partenaires et ses clients.
À l’époque, les maisons de vente de province proposaient souvent
un tas d’objets ethnographiques aux enchères, catalogués très simplement,
sans illustrations et avec des estimations très basses. Loed
assistait fréquemment à ces ventes anonymes, achetait les meilleurs
objets et rentrait à Amsterdam le weekend pour présenter ses trouvailles.
Dès le samedi soir tout était vendu.
Loed a également parcouru de longues distances dans sa quête
d’objets d’art. En compagnie de Lucien Vandevelde, il s’est rendu à
Sydney en 1976 pour la vente aux enchères Stan Moriarty dédiée à
l’art d’Océanie. C’est lors de cette vente qu’ils rencontrent pour la
première fois Wayne Heathcote et initient le prometteur marchand
australien aux possibilités offertes par le reste du monde.
Quelques années plus tard, en 1980, Loed revient dans le Pacifi
que. Il visite les Fidji et les diverses îles de Papouasie-Nouvelle-Guinée,
dont la Nouvelle-Irlande et la Nouvelle-Bretagne. C’est d’ailleurs
aux Fidji que Loed réalise l’un de ses plus célèbres coups. Après
avoir mis la main sur une superbe fi gure fi djienne en Europe et s’être
assuré que le Fiji Museum situé à Suva ne possédait aucun objet
culturel de ce genre, Loed s’est arrangé pour l’échanger contre un
nombre considérable d’objets collectés par le capitaine Middenway
dans les îles Salomon, qu’il a vendus ensuite à Amsterdam, dont les
double fi gures de poteau aujourd’hui exposées au musée du quai
Branly - Jacques Chirac.
C’est lors de son premier voyage en Mélanésie que Loed se découvre
un goût pour l’aventure sur le terrain. Le temps qu’il passe
dans la péninsule de Gazelle en Nouvelle-Bretagne renforce sa passion.
Loed découvre que beaucoup de peuples de Nouvelle-Bretagne
ont non seulement conservé leurs traditions, mais sont également
désireux de les partager avec lui. Même si sa volonté première était
de trouver et de collecter des artefacts, Loed est tombé directement
sous le charme des lieux et des habitants.
De retour à Amsterdam, Loed, avec l’aide de Mia, bâtit une collection
d’art traditionnel océanien et africain. En 1996, le couple vend
la collection africaine aux enchères, par l’intermédiaire de la maison
Jutheau à Paris, et de nombreuses oeuvres atteignent des montants
records. Les époux privilégient alors l’art de la région du Sepik, de
Nouvelle-Irlande et de Nouvelle-Bretagne.
Ma première rencontre avec Loed et Mia remonte à 1989. Nous
sommes devenus bons amis assez rapidement. C’est avec Loed que
j’ai effectué mon premier voyage dans le Pacifi que et j’y suis retourné
à de nombreuses reprises avec lui et son fi ls Bart. Loed était une
source d’inspiration à l’époque, pour ma vie et ma carrière, et l’est
toujours resté. J’ai écrit la phrase suivante il y a longtemps, mais
elle demeure tout aussi vraie aujourd’hui : Loed avait probablement
oublié plus de choses sur le Pacifi que que la plupart des gens n’en
apprendront jamais, moi y compris.
Kevin Conru
Loed van Bussel 1935–2018