DOSSIER
de quarante ans plus tôt (fi g. 18a et b). Ses sept
couteaux ont cependant été reproduits à maintes
reprises au fi l du temps, formant un genre en soi
et exerçant dès lors une infl uence considérable et
durable sur le marché des armes africaines.
CONSCIENCE ET RÉVÉLATION
Après avoir produit des copies et créé de toutes
pièces des couteaux pour Zirngibl et d’autres marchands
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pendant des décennies, Hebeisen a fi ni par
prendre conscience des conséquences de son travail.
Alors qu’il pensait réaliser des reproductions artistiques
pour des collectionneurs qui n’avaient pas
les moyens d’acquérir des couteaux authentiques, il
a commencé à se demander s’il n’était pas plutôt
l’un des acteurs principaux d’une vaste escroquerie.
Certains événements vont confi rmer ses doutes. En
1995, Hebeisen aperçoit l’un de ses couteaux musele
kota en cuivre massif dans une galerie de Munich
et demande son prix. La réponse lui parvient par
courrier, annonçant un montant de 65 000 deutsche
marks, soit environ 45 000 dollars (fi g. 19).14
Hebeisen considère néanmoins qu’il s’agit, à ce moment
là, d’un cas isolé, et continue ses activités.
En 2008, Hebeisen découvre que l’un de ses couteaux
yakoma est mis aux enchères à Paris pour
un montant estimé entre 11 000 et 13 000 euros.
En 2013, il s’aperçoit qu’un autre de ses couteaux
yakoma a été vendu par une maison de vente renommée
pour 17 500 dollars. Hebeisen sait à présent
qu’il a été trompé et comprend que les projets
artistiques que Zirngibl et d’autres lui ont apportés
l’ont en réalité placé au coeur d’une entreprise aussi
lucrative que malhonnête. Peu après, il fait part de
son mécontentement en publiant son commentaire
sur le site afropapa.de et commence à révéler la
véritable origine de ses couteaux.
Bien qu’il ait effectivement pris part à des activités
douteuses pendant longtemps, Hebeisen a au
moins eu le mérite de dévoiler la vérité, aidé en cela
par les photos de ses répliques de couteau, prises
aux différentes étapes de fabrication, notamment
de ses couteaux zandé / makaraka, dont il a créé au
moins quinze exemplaires, reconnaissables à leur
manche extravagant (fi g. 20). Si des spécialistes
s’étaient intéressés de près aux techniques des forgerons
africains, il ne fait aucun doute qu’ils auraient
découvert la supercherie tôt ou tard en comparant
méticuleusement les couteaux de Hebeisen avec
les exemplaires traditionnels. Cependant, puisque
Hebeisen a reconnu son rôle dans cette affaire, le
débat est désormais passé au premier plan. D’autres
personnes impliquées ont refusé d’en faire de même
ou ont emporté leurs secrets dans leur tombe.
Le succès des couteaux forgés par Hebeisen se
traduit à présent par ce que l’on appelle « l’effet
boomerang ». Ils sont aujourd’hui copiés en Afrique
pour être ensuite vendus en Occident, ce qui montre
à quel point les forgerons africains sont capables de
s’adapter aux lois des marchés étrangers.15
FIG. 17 (EN HAUT À
GAUCHE) : Musele #7 en
cuivre « kota » de Hebeisen,
photographié dans son jardin
et publié sur Facebook en
2003.
Photo : Tilman Hebeisen.
FIG. 18a et b (EN HAUT) :
Plaque de cuivre non
travaillée donnée à Hebeisen
par Zirngibl avec, sur une
face un croquis d’un couteau
kota et sur l’autre l’inscription
“Ausgangsmaterial
Vogelkopfmesser Kupfer
Zirngibl, 10 x 160 x 360”
(Matériau de base, cuivre
Zirngibl, couteau en forme
de tête d’oiseau,
10 x 160 x 360 mm.).
Photo : Wolf-Dieter Miersch, 2015.
/afropapa.de