TOM JOYCE
137
artefact, même s’ils sont parfois forgés de manière
trop fine, trop large, trop lourde ou trop délicate
pour être utilisés autrement que dans un sens culturellement
adapté et consenti. On retrouve souvent
ces caractéristiques dans les formes des monnaies ou
d’objets qui ont une valeur d’échange spécifique en
fer et alliage de cuivre : lames, houes, lingots, barres
et outils. En plus de ces exemples, j’ai également
beaucoup collectionné des ornements corporels
tels que des anneaux de cheville, des bracelets, des
torques et des amulettes. Je m’intéresse également
aux instruments de musique - lamellophones, gongs,
cloches, flûtes et hochets - et aux instruments rituels,
notamment les bâtons, les outils cérémoniels, les
pièces forgées figuratives et les objets de dévotion.
K. C. : Vous avez été en Afrique plusieurs fois. Avezvous
des objets découverts lors de vos voyages, et
que pouvez-vous nous en dire ?
T. J. : Un exemple parmi d’autres est un gong
d’initiation appelé ekpande de la région kabre
au centre-nord du Togo. Des initiés masculins en
jouent pendant le Waa, le quatrième des cinq stades
des rites de passage à l’âge adulte que suivent les
garçons kabre. La cérémonie a lieu tous les cinq ans
et dure dix jours. L’ekpande est la pièce maîtresse
de la tenue d’un initié et est attaché à son poignet
avec une longue corde tissée. En imprimant un
mouvement de balancement en forme d’arc le jeune
homme fait atterrir le gong dans sa paume, où l’instrument
vient frapper une bague de fer qu’il porte
au pouce. Le rythme de percussion du gong est
accompagné de chants, de trompes, de sifflets et de
cloches joués par une procession de membres de la
famille, de voisins et d’amis qui le soutiennent.
K. C. : Comment avez-vous connu cela ?
T. J. : En 2010, l’anthropologue Charlie Piot, professeur
à la Duke University, m’a invité à assister à
la cérémonie. Il menait une recherche de terrain à
Kuwdé, au Togo, où le Waa avait lieu. Juste avant
l’événement, j’ai demandé à Kao Kossi, un forgeron
du village voisin de Tcharé, où officiaient des dizaines
de familles de forgerons, de réaliser sa propre
version de ce gong bivalve. Après avoir commencé
par cisailler à froid des morceaux d’une lourde roue
de camion recyclée, Kao et son assistant, Ide Essozimna,
ont forgé deux moitiés identiques en donnant
de puissants coups d’un fin marteau de pierre au
sommet d’une rangée d’enclumes de basalte partiellement
enterrées. Ils ont réalisé de longues languettes
plates sur les axes supérieur et inférieur de chaque
moitié concave et les ont soudées les unes aux autres
avec un composant à base d’argile liquide.
Cela peut sembler « vieille école » de voir des
forgerons travailler avec des outils en pierre et
pomper des soufflets au sol, mais ce sont des praticiens
qualifiés qui ont grandi avec des méthodes
éprouvées. Les outils et façons de faire sont aussi
efficaces sinon plus que leurs équivalents occidentaux.
De telles pratiques peuvent être anciennes,
cependant elles ne sont en aucun cas « simples »
CI-DESSOUS, DE GAUCHE À
DROITE :
FIG. 11 a-c :
Monnaie en forme de houe.
Shona, Zimbabwe.
Fer forgé. H. : 62 cm.
© Tom Joyce Studio Archive, 2018.
FIG. 12 a-b :
Monnaies en forme de houe
kashu / mal. Karamajong,
Ouganda.
Fer forgé. H. : 42 cm.
© Tom Joyce Studio Archive, 2018.
FIG. 13 a–f :
Monnaies mbili s’inspirant de
la forme des lances.
Ngbaka, RDC.
Fer forgé. Hauteur de la plus
haute : 55 cm.
© Tom Joyce Studio Archive, 2018.