Il est plausible que le symbolisme des points-cercles
qui ornent notre mystérieux appui-nuque soit de la
même nature que celui de la configuration couvrant
ces deux sièges miniature : ses trois montants
figureraient des lignées familiales, tandis que les
points-cercles en représenteraient les membres. Et
il est tout aussi vraisemblable qu’étant donné ses
dimensions et la perfection de ses formes, il fut
jadis l’apanage d’un important chef ou notable.
Malgré ce rapprochement symbolique entre ces
trois oeuvres d’ivoire, un regard exercé notera
immédiatement que l’appui-tête, avec ses montants
droits et parallèles et surtout son plateau supérieur,
rectangulaire et élégamment incurvé, n’appartient
pas à l’univers sculptural ni des Lega, ni des Bembe.
En somme, nous avons affaire à un objet dont le
matériau (l’ivoire) et le symbolisme (exprimé par
la structure ornementale) semblent clairement
appartenir à l’univers culturel du Maniema, mais
dont le style et le type même d’objet ( un appuinuque
sculpté) font davantage penser aux supports
de rêve de l’aire culturelle luba. En clair, les Lega et
les Bembe n’ont pas d’appui-tête sculptés tandis que
les Luba et autres groupes apparentés en possèdent,
mais très rarement en ivoire, et jamais décorés de
points-cercles.
Ill. 2 : Siège miniature kisumbi
Lega
H. 4 cm
Photo Congo Basin Art History research Center Bruxelles
Ill. 3 : ‘Ecumbe hebele. Double siège.
Bembe
Ivoire d’éléphant
H. 7,9 cm. ; diam. 4,4 cm.
Photo Congo Basin Art History research Center Bruxelles
Si les Lega ignorent les appuis-têtes sculptés, en
revanche, les sièges ou tabourets kisumbi en bois,
soigneusement polis et patinés, sont l’apanage
exclusif des haut gradés du bwami, tandis que certains
exemplaires miniatures et en ivoire circulent au sein
des rites d’initiation. Brown en publie un dont le décor
rappelle celui de notre appui-tête ; il est muni de 7
petits montants reliant deux plateaux circulaires et
l’ensemble est orné de motifs en points-cercles . (ill. 2).
Par ailleurs, les recherches intenses effectuées par Pol-
Pierre Gossiaux au sein de l’univers rituel des Bembe,
apparentés culturellement aux Lega, nous apprennent
qu’ils possèdent des oreillers de bois (‘aseko) mais
qu’il s’agit apparemment d’objets usuels qui
n’appartiennent pas à l’univers rituel du bwamè, une
association initiatique analogue à celle du bwami des
Lega. Beaucoup d’objets en ivoire circulent également
au sein du bwamè, et parmi eux ce singulier siège
miniature, lui aussi entièrement orné de points-cercles
ngata y ‘alùngi. (ill.3)
Si l’on manque d’informations sur le petit tabouret
d’ivoire lega, celui-ci est en revanche bien documenté.
Il symbolise la règle de succession des chefs, selon
le principe de la primogéniture au sein des lignages
patrilinéaires. Le plateau du milieu représente l’aîné ula
de la branche aînée, représentée par l’un des montants
inférieurs, et le plateau supérieur symbolise son
successeur, aîné des lignées représentées par les cinq
montants supérieurs, toutes issues du premier ula. Les
points-cercles ngata y‘alùngi désignent arbitrairement
les individus mâles, membre de la lignée.
Pour rencontrer son éventuel équivalent, ou qui
mêlerait à tout le moins également plusieurs des
caractéristiques esthétiques et symboliques des
deux régions, nous devrions donc nous tourner vers
une zone culturelle intermédiaire entre les Luba et
les Lega, et par exemple celle des Zimba qui, comme
dit fort justement Marc Felix, « ont un pied dans le
monde Luba et un autre dans le monde Lega »