lisé. L’orateur utilise ainsi ce qu’il a sous la main
pour rendre visibles les différents points de son
argumentation en alignant des objets (sur le siège
ou sur le sol). Ceux-ci sont alors ramassés rapidement
pour conclure soit le discours, soit une phase
importante de la démonstration avant de passer à
une autre.
Il existe aussi d’autres usages de ce tabouret,
même si ces usages demeurent encore peu documentés.
Ainsi on se sert de ce siège comme d’une
sorte de garantie à la justice. Coiffier cite l’utilisation
du tabouret devant lequel on sacrifie un poulet
pour mettre fin à un conflit30 ou sur lequel on
111
dépose des noix d’arec31.
4. LA GUERRE
Pour de nombreuses personnes interrogées, le
tabouret est un guerrier. Il combat au nom des
hommes liés au pilier de la maison, mais aussi à la
tête de la pirogue. Les noms des tabourets collectés
par Christian Coiffier32 sont aussi des noms de
guerriers, de ces êtres que les habitants du Sepik
appellent en spirit Tok Pisin et qui constituent un
être de combat. Wirz décrit brièvement l’usage des
tabourets à l’occasion de la chasse aux têtes :
« L’on tenait un discours ou parlait de ce que l’on
envisageait de faire devant le tabouret. Il se peut
que la volonté d’assurer l’appui du chef de clan
pour les projets prévus entrait également en ligne
de compte. »33
Il associe alors le siège au fondateur (ou à
l’ancêtre général) du clan. Chez les Chambri, cet
être / tabouret est aussi le clan, ou du moins tous
les hommes qui peuvent combattre en son nom. Il
est la force qui les anime (kau mahur en chambri).
Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, il
ne s’agit pas nécessairement d’un ancêtre. Il appartient
à cette catégorie d’êtres qui sont liés au clan
sans qu’on puisse s’y rattacher par une filiation
précise. Ils ne sont pas nécessairement des héros
mythologiques non plus. En effet il est rare qu’un
récit ou narration puisse être rapporté à propos
de Sukundimi ou des différentes personnes qui
agissent sous la forme d’un tabouret cérémoniel.
En revanche, on pourra citer un grand nombre de
faits guerriers qu’on lui attribue sous la forme d’un
combattant ayant investi la pirogue du clan à différentes
époques de son histoire.
FIG. 21 (PAGE DE
GAUCHE) : Tabouret
d’orateur. Kapriman, Moyen
Sepik, PNG.
Bois et pigments. H. : 112,5 cm.
Ex-coll. A. Bülher au Museum der
Kulturen, Bâle (1959).
Musée Barbier-Mueller, inv. 4098.
© archives musée Barbier-Mueller,
photo : studio Ferrazzini-Bouchet.
FIG. 22 (CI-DESSUS) :
Aquarelle de Nicolas Garnier
figurant le tabouret d’orateur
du musée de Francfort inv.
45826. Carnet de terrain de
l’auteur. 2007.
© Archives de l’auteur.
doivent pas être touchés sans y faire attention, et
ne sont pas utilisés comme sièges. Ils sont utilisés
dans les débats et les discussions sérieuses. Trois
bouquets de feuilles sont fournis, avec lesquels les
orateurs battent l’assise du tabouret. À l’occasion
d’une discussion calme et prudente sur les noms de
personnes et les généalogies, on utilise des feuilles
de Dracaena, mais dans des conflits plus passionnés,
on y substitue des palmes de cocotier. Ces dernières
étant plus résistantes, elles sont plus à même de résister
à un usage violent. L’orateur prend les trois
bouquets de feuilles, comme s’ils ne faisaient qu’un,
dans sa main, et donne un coup au tabouret avec les
trois ensemble. Il pose alors les bouquets sur le tabouret,
un par un, comme s’ils étaient un décompte
de ses phrases. Quand tout est posé, il les rassemble
et donne un autre coup. Cette série d’actions est
répétée tout au long du discours se terminant par un
coup final. Un orateur habile fait en sorte que le battement
du tabouret accentue les points saillants de
son discours, se mettant lui-même dans une sorte de
rage histrionique. Mais parfois, le battement se fait
presque mécaniquement, même pendant la pause de
l’orateur pour l’inspiration. » 28
Dans son ouvrage analytique centré sur l’analyse
de la cérémonie Naven, il reprend partiellement
son texte de 1932 :
« Dans la technique de débat, l’orateur utilise des
faisceaux de feuilles, en les frappant sur une table
pour marquer le point de son discours. Ces feuilles
sont continuellement utilisées comme des emblèmes
visibles ou tangibles d’objets et de noms. Un orateur
dira : “ Cette feuille est Untel, et je ne prononce
pas ce nom ”, et il lancera la feuille vers la partie
adverse. Ou il peut dire : “ Cette feuille est l’opinion
de Untel ”, et il la jettera par terre avec mépris ;
ou il brossera le sol avec les feuilles, balayant les
déclarations dénigrantes de son adversaire. De la
même manière, un petit paquet de feuilles vide est
utilisé comme emblème d’un secret, que l’interlocuteur
met au défi les membres de la partie adverse
de savoir : il va le brandir en leur demandant avec
mépris s’ils savent ce qu’il y a dedans. »29
Lorsqu’on s’en sert, on utilise différents types de
feuilles. Bateson cite les Dracaena et des folioles
de cocotier. Dans un débat n’impliquant pas une
mise en scène grotesque, tout objet peut être uti-
TABOURETS D’ORATEUR DU MOYEN SEPIK