MUSÉE à la Une
FIG. 1 (CI-DESSUS) :
Récipient de libations paccha
avec cinq représentations de
coquillages Spondylus.
Inca, côte nord du Pérou.
1470-1532 apr. J.-C.
Céramique. H. : 23,7 cm.
Ex-coll. Oscar Rodríguez Razzetto.
Museo de Arte de Lima, donation
de la collection Petrus et Verónica
Fernandini, inv. 2007.16.70.
FIG. 2 (EN HAUT À
DROITE) :
Collier. Maya, Tombe I,
Structure XV, Calakmul,
Campeche, Mexique.
600-660 apr. J.-C.
Coquillage (Spoldulus princeps,
Strombus gigas), L. : 68 cm.
Museo Arquelógico de Campeche,
Fuerte de San Miguel, Campeche,
inv. 10-629922 0/383.
Secretaría de cultura—INAH.
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Royaumes d’or :
Arts de luxe dans les Amériques anciennes
En 1519, l’empereur aztèque Moctezuma II
accueillit le conquistador Hernán Cortés avec des
cadeaux précieux pour son homologue en Europe,
Charles Quint, roi d’Espagne et empereur du Saint-
Empire romain. Les trésors furent visibles à Bruxelles
en 1520, et l’un des premiers à les voir fut l’artiste
Albrecht Dürer. Celui-ci écrivit dans son journal :
« J’ai vu les choses qui ont été apportées au roi depuis
le nouveau pays de l’or : un soleil entièrement
en or d’une largeur d’une brasse, et une lune toute
d’argent de la même taille, aussi... toutes sortes de
choses merveilleuses pour divers usages, beaucoup
plus belles à voir que les prodiges de la nature. Ces
choses étaient si précieuses qu’elles ont été évaluées
à cent mille fl orins. D’aussi loin que je me souvienne,
je n’ai rien vu qui ait autant réjoui mon coeur que ces
choses. Car j’ai vu parmi eux d’incroyables objets
d’art, et je me suis émerveillé de l’ingenia subtil des
gens dans ces pays étrangers. À vrai dire, je ne peux
pas exprimer les pensées qui me sont venues alors.1 »
Dürer, lui-même orfèvre confi rmé, s’attarde
davantage sur les ouvrages en métaux précieux que
les objets faits d’autres matériaux - probablement
considérés comme plus précieux que l’or ou l’argent
dans la hiérarchie aztèque de la valeur.
De telles rencontres suscitèrent une passion
européenne pour l’or, entraînant une série
d’événements qui ont débouché sur une perte
dévastatrice de traditions et de vies autochtones. Cette
obsession européenne pour l’or et d’autres métaux
rares a laissé perplexes de nombreux peuples indigènes
des Amériques, car pour eux, d’autres matériaux
étaient souvent considérés comme bien plus précieux.
Par exemple, en 1572, l’administrateur colonial
espagnol et cosmographe royal Pedro Sarmiento de
Gamboa a noté que dans la région andine, qui abritait
l’empire Inca, une coquille rouge - certainement le
bivalve hérissé de piques de l’espèce Spondylus - était
plus appréciée des indigènes que l’argent ou l’or (fi g.
1 et 2)2. En Mésoamérique, la région culturelle qui
s’étend de l’actuel Honduras jusqu’au Mexique,
où prospérèrent les grandes cités-États mayas et en
dernier lieu le puissant empire aztèque, les pierres
vertes et bleues comme le jade et la turquoise étaient
sans doute les matériaux les plus sacrés et les plus
précieux (fi g. 5, 16 et 20), même alors que des
sources d’or dans l’ouest et le sud du Mexique étaient
exploitées respectivement par des forgerons tarasques
et mixtèques. Dans cette région, les beaux vêtements
tissés ou les plumes fi guraient parmi les objets de luxe
Par Joanne Pillsbury