TSESAH
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dans sa totalité, est une formidable vitrine des pratiques
commerciales de l’un des marchands d’objets
ethnographiques les plus prospères d’Allemagne au
début du XXe siècle10. Dans ce contexte, le cimier
est présenté comme une marchandise destinée à être
vendue en vrac à un musée ethnographique.
Une version ultérieure de ce même recueil, datant
du début des années 1920, témoigne du reste de
l’histoire de cette collection (fig. 12). En dépit de
tous ses efforts, Umlauff n’est pas parvenu à vendre
la collection dans son ensemble et, après la Première
Guerre mondiale, il s’est mis à la morceler, vendant
les objets séparément11. Dès qu’une oeuvre était
vendue, sa photo était retirée de l’album. Symboliquement,
la photo découpée incarne la métamorphose
du cimier tsesah, qui n’est plus simplement un
objet de curiosité ethnographique, mais devient une
oeuvre individualisée admirée pour ses qualités esthétiques.
Cette approche marqua la première étape
de la transformation du cimier en un chef-d’oeuvre
sculptural, un processus concrétisé en 1921 dans
Afrikanische Plastik. Dans cet ouvrage, le cimier
apparaît seul et est photographié de face, placé sur
une table ou un piédestal. Il est présenté comme une
véritable oeuvre d’art, prête à s’inscrire dans le cadre
d’une histoire occidentale de l’art (fig. 13).
Dans son exposition phare organisée en 1935 au
Museum of Modern Art de New York, African Negro
Art, James Johnson Sweeney pousse encore plus
loin cette transformation conceptuelle (fig. 14). Dans
une scénographie moderniste et épurée, le cimier est
placé au sommet d’un grand piédestal cylindrique
blanc. Sorti de son contexte d’origine, il est non seulement
admiré uniquement pour sa beauté plastique,
mais est également assimilé aux formes d’expression
sculpturales modernistes. De l’album d’Umlauff à
l’installation du MoMA, en une vingtaine d’années,
le changement de statut du cimier fut radical !
BATCHAM : UN NOM EN QUESTION
En 1993, l’exposition « monographique » organisée
à Marseille, Batcham : Sculptures du Cameroun.
Nouvelles perspectives anthropologiques, faisait
de « Batcham » le terme officiel pour désigner les
cimiers tsesah. Comme nous l’avons indiqué plus
haut, Batcham est en réalité le nom de la chefferie
dans laquelle le premier cimier fut collecté en 1904.
Le terme est accrocheur, certes, mais il est difficile
de savoir pourquoi ce dénominateur topographique
a fini par définir l’intégralité du corpus. Ni l’exemplaire
du Rietberg ni celui du Fowler n’étaient à
l’origine identifiés comme provenant de Batcham.
D’ailleurs, au fil du temps, une variété d’origines ont
été attribuées au cimier du Rietberg,12 notamment
Bamendjo, Bamenda, Bacham, Babanki, la région
Bangwa-Dschang avec une influence Tikar, ou encore
Baham13. Ni Harter ni Pollock n’ont employé
le terme « Batcham » pour décrire ces cimiers dans