Dîner avec les rois
Cérémonie et hospitalité dans
les Grassfields camerounais
Par Erica P. Jones
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FIG. 3 (CI-DESSUS) :
Corne à boire.
Bamoun, Grassfields,
Cameroun. XIXe siècle.
Corne de buffle nain.
Fowler Museum at UCLA,
X91.410.
Photo : Don Cole.
et semence - qui les relient aux ancêtres royaux. Il est
de la responsabilité du roi de garder jalousement certains
éléments vitaux tout en en partageant d’autres
avec les gens du royaume de manière socialement
prescrite. Pour que les sujets parlent directement au
roi, ils doivent d’abord boire dans sa tasse, et ainsi
partager sa salive. Lors des cérémonies, le roi peut
bénir son peuple en pulvérisant du vin de palme de sa
bouche, le mélangeant avec sa salive. Au quotidien,
le roi partage son souffle avec son peuple alors qu’il
leur parle. L’une de ses tâches les plus importantes
est de dispenser sa semence - historiquement, il
était du devoir du roi d’engendrer un grand nombre
d’enfants issus d’un grand nombre d’épouses3. Dans
chacun des scénarios décrits ci-dessus, il partage soigneusement
des substances ancestrales de manière à
faire respecter son statut et à assurer son héritage.
Warnier a souligné que la position du roi comme
récipient s’étend au-delà de son corps pour englober
d’autres objets qui peuvent être considérés comme
des prothèses, ou des extensions sacrées, du moi physique
du roi. Des objets royaux tels que des cornes
à boire, des récipients pour le vin de palme et des
pots en céramique peuvent tous représenter le corps
du souverain. Dans le cas des récipients pour le
vin de palme (fig. 11 et 1), la relation est
assez explicite dans la mesure où le roi
est considéré comme une calebasse de
vin de palme4 ; il boit le vin, ce qui
fait de lui un récipient, et le vin est
une substance vitale, tout comme
les autres dans son corps.
Alors que le roi est un pot, les
pots d’argile eux-mêmes sont aussi
des « corps » ayant une connexion
subtile avec le palais. Dans le contexte
des Grassfields, Silvia Forni a noté que
les pots sont traités comme des personnes5.