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Jan Baum 1928–2017
JAN EST NÉE à Newark, dans le New Jersey, à un jet de
pierre de New York sur les tunnels d’Hudson, qu’elle utilisait
fréquemment à l’adolescence pour aller dans les musées et
galeries de la Grande Pomme. Elle apprit tôt deux leçons qui
façonnèrent sa vie ultérieure. Quand elle avait cinq ans, elle et
un groupe de compagnons de jeu plus âgés décidèrent de faire
la course, elle sur son tricycle et eux à vélo. Après être arrivée à
l’humiliante dernière place, elle se dit : « Je n’arriverai plus jamais
dernière, et je ferai de mon mieux pour arriver première.»
Elle réalisa ce but en étudiant, en lisant et en observant, et à
quinze ans elle fut major de sa classe de lycée et obtint le premier
prix en science.
La deuxième leçon vint alors qu’elle trouva dans une galerie
de New York une petite peinture de Paul Klee pour 950 dollars.
C’était plus que ce dont elle disposait, mais travaillant comme
caissière dans l’épicerie fi ne de son père après l’école, elle aurait
pu payer de façon échelonnée, ce que le galeriste ne lui proposa
pas. Quand elle eut sa propre galerie, elle encouragea les collectionneurs,
en particulier les débutants, qui aimaient une peinture,
à payer en plusieurs fois, même si cela prenait des années.
À l’Université du Wisconsin, elle suivit un cursus d’histoire
de l’art, et savait où était son avenir. Elle obtint son diplôme
avec mention et fut membre de Phi Beta Kappa. Je l’ai rencontrée
là-bas et elle avait tout ce que je pouvais demander :
intelligence, éclat, beauté et l’envie de faire vraiment quelque
chose de sa vie. Elle me trouvait bien trop sérieux pour ses
seize ans et faisait tout ce qu’elle pouvait pour me décourager,
au point même de me fi xer des rendez-vous avec d’autres
fi lles. Après une romance tumultueuse de cinq ans, nous nous
sommes mariés en 1951.
Diplômée de l’université en 1950, Jan retourna chez elle à
Newark et travailla comme chercheuse. Nous déménageâmes
ensemble à Los Angeles en 1952 et y avons élevé nos trois enfants.
Quand ils n’eurent plus besoin d’un parent à la maison,
Jan devint professeur au Los Angeles County Museum of Art,
se spécialisant en art contemporain, mais lisant avec voracité
et étudiant l’art de toutes les époques. Quelques années plus
tard, elle a été invitée à faire partie du comité de sélection de la
Art Rental Gallery du musée, ce qui impliquait de visiter trois
ou quatre ateliers d’artistes par semaine.
En 1977, sa proche amie Iris Silverman suggéra qu’elles
ouvrent une galerie ensemble, Iris, collectionneuse d’art africain
et indonésien, s’occupant de l’art tribal et Jan, avec ses liens
avec le musée, comme responsable de l’art contemporain. Elle a
immédiatement su quels artistes elle voulait montrer. Il s’agissait
notamment de Chris Burden, Betye Saar, Darren Waterston, Jim
Morphesis, Mel Rubin, Alison Saar et Peter Plagens.
Pendant l’installation de la galerie, l’art tribal acheté pour la
galerie était entreposé chez nous. Une paire de poteaux yoruba
s’est retrouvée dans notre chambre, et le premier matin, nous
nous sommes réveillés et nous sommes dit : «Bon sang, ils sont
plus intéressants que je ne le pensais.» Chaque matin notre
enthousiasme était plus fort et le quatrième jour nous étions
ferrés en tant que collectionneurs et Jan en tant que marchande.
Malheureusement, Iris mourut quand la galerie n’avait
que deux ans, mais Jan avait déjà beaucoup perfectionné ses
connaissances dans l’art tribal d’Iris, en visitant les musées, les
collections et les marchands et, une fois encore, en lisant avec
passion. Elle a poursuivi dans l’art tribal durant les vingt-huit
années suivantes, et l’art africain et indonésien a toujours eu
une place égale dans son coeur à celle de l’art contemporain.
Jusqu’à sa retraite à la fi n de 2007, elle accueillit de la même
manière anonymes et célébrités. Elle encouragea les artistes,
même ceux qui lui montraient un travail qui ne correspondait
pas au programme de la galerie. Elle était l’amie de tous ses
artistes, de ses collectionneurs et de tant d’autres personnes.
À la retraite, elle continua à aller au musée et à la galerie,
lisant encore avec voracité, continuant à collectionner l’art tribal
jusqu’à ce qu’un oedème cérébral lui vole son atout le plus
précieux : son merveilleux esprit. Elle est décédée le jour de
Noël 2017. Le Los Angeles County Board of Supervisors a
ajourné sa réunion du 9 janvier en hommage et révérence à la
mémoire de Jan.
Richard Baum