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s’inscrivant dans la mouvance fi gurative et allégorique
propre à la tradition artistique européenne.
Des noms comme Géo Michel ou Jeanne Thil,
présentés dans Peintures des lointains, illustrent
cette veine. Les toiles commandées à cette dernière
en 1935 pour orner le palais de la France d’outremer
à l’Exposition universelle de Bruxelles s’attachent
à symboliser, dans une palette chatoyante,
les possessions françaises – notamment l’Afrique
équatoriale et occidentale (fi g. 6) – par des scènes
mettant à l’honneur ses populations. Dans une
peinture à l’huile de 1886 de Henry Jones Thaddeus,
c’est un hommage à Savorgnan de Brazza
qui est rendu (fi g. 14). La grandeur de cet explorateur
ayant ouvert la voie à la colonisation française
dans la région d’Afrique centrale s’exprime
non seulement par les dimensions importantes de
la toile, mais surtout par la représentation du sujet
en majesté, le regard perçant et se détachant d’un
fond sombre en tenue de brousse rehaussée d’une
montre pendentif.
Avec l’avènement des indépendances et la
mutation du musée, en 1960, en musée des arts
d’Afrique et d’Océanie, ces oeuvres ancrées dans
la pensée offi cielle et aux antipodes des recherches
artistiques des mouvements d’avant-garde de
l’époque connurent un sort moins glorieux. La
plupart furent décrochées des murs pour rejoindre
l’ombre des réserves, tandis que les pièces qui se
trouvaient au musée en dépôt furent rendues à
FIG. 14 (PAGE DE GAUCHE) :
Henri Jones Thaddeus (1859-
1929), Savorgnan de Brazza
en tenue de brousse. 1886.
Huile sur toile, 159,3 × 105,8 cm.
Inv. 75.15772.
Don Mme Basch au musée des Arts
africains et océaniens, 1963.
© musée du quai Branly - Jacques
Chirac, photo Claude Germain.
FIG. 15 (EN HAUT) : Frédéric
Regamey (1849-1925), Jules
Ferry recevant les délégués
des colonies (détail).
1892.
Huile sur toile, 105,5 × 94,6 cm.
Inv. 75.3612.
Acquisition musée des Colonies, 1932.
© musée du quai Branly - Jacques
Chirac, photo Claude Germain.
Les informations contenues dans cette
présentation doivent beaucoup à la
lecture du catalogue accompagnant
l’exposition éponyme, coédité par le
musée du quai Branly – Jacques Chirac
et les Éditions Skira Paris.
leurs propriétaires. Il fallut attendre une vingtaine
d’années pour que cet ensemble, désigné sous le
nom de « fonds historique » ne suscite un regain
d’intérêt de la part des conservateurs et des chercheurs.
Le temps aidant à se tourner vers le passé,
un travail d’inventaire et de documentation s’initie
dans les années 1980. Quelques oeuvres viennent
même enrichir ce fonds dont la valeur historique
s’impose comme une évidence au moment de son
transfert au musée du quai Branly. Régulièrement
exposées depuis lors d’expositions temporaires
– on se souvient de l’exposition-manifeste D’un
regard l’autre, avec laquelle le musée affi rmait au
moment de son ouverture en juin 2006 sa volonté
d’interroger l’Altérité depuis des positions et des
sensibilités plurielles –, la collection s’est élargie
signifi cativement dans cette dernière décennie aussi
bien en termes d’oeuvres qu’au regard des axes thématiques
explorés.
Désormais, ce fonds est devenu un vecteur de recherche
et d’approfondissement d’un passé dérangeant
qu’il faut prendre le temps de questionner.
Il est également une fenêtre ouverte sur autant de
regards posés par des artistes occidentaux sur une
altérité connue ou fantasmée, dont on commence
tout juste à percevoir les nuances trop souvent
écrasées par le discours offi ciel. Nul besoin de dire
que la revendication qui en est faite dans Peintures
des lointains et dans le catalogue richement illustré
qui l’accompagne nous aura touché.