TSESAH
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FIG. 5 : Le père Frank
Christol (1884-1979),
« Le grand masque de
Bayangam », avant 1928.
Musée du quai Branly – Jacques
Chirac, Paris, inv. PP0135127.
tionneur, le baron Eduard von der Heydt, qui léguera
plus tard sa collection à la ville de Zurich4.
Un troisième cimier fut collecté en 1925 par le
pasteur protestant français Frank Christol, soit à
Bamendjo, soit à Bayangam5, une ville située à environ
dix kilomètres au sud-ouest de Bandjoun (fi g.
4). En poste au Cameroun de 1914 à 1928 (avec
une période d’interruption de deux ans pendant la
Première Guerre mondiale) Christol prit des centaines
de photos à travers les Grassfi elds, s’intéressant
aux populations, aux cérémonies et aux oeuvres
d’art6. Plusieurs photos illustrent le cimier dans des
contextes et des intérieurs variés, ce qui témoigne
de son importance aux yeux de Christol. Sur un cliché
réalisé in situ (fi g. 5), Christol présente le cimier
entouré d’objets de cérémonie – un tabouret sculpté
doté d’une caryatide-léopard, des cadres de porte
décorés, des pipes en argile et en bronze, un couteau
dans un étui ouvragé, et une calebasse remplie
de substances puissantes. Même s’il est certainement
l’oeuvre de Christol lui-même, cet agencement
représente un document visuel saisissant qui assimile
les cimiers tsesah à d’autres objets royaux qu’il
avait collectés. Christol vendit le tsesah à Sir Henry
Wellcome à Londres en 1932. Le cimier prit ensuite
la direction du Fowler Museum de l’UCLA en 1965,
en compagnie de quelque trente mille oeuvres de la
collection Wellcome (inv. X 65-5820).
L’entrée de ce cimier dans la collection du Fowler
Museum et son apparition dans le premier numéro
de la revue académique African Arts en été 1967
fi rent naître l’intérêt de la communauté universitaire
pour ce genre majestueux. Des articles de l’anthropologue
Adam Pollock (1968) et du spécialiste des
arts du Cameroun Pierre Harter (1969 et 1972)
ont rapidement cherché à connaître les origines et
la fonction de ces oeuvres et mis l’accent sur leur
dimension unique au sein du répertoire de formes
bamiléké (fi g. 6). Après avoir présenté un quatrième
exemplaire (fi g. 7) qu’il venait de collecter avec son
confrère Robert Brain à Fotabong I, une chefferie
Bangwa située à quelque cinquante kilomètres à l’est
de Batcham, Pollock se demanda « pourquoi … des
masques tellement similaires ont-ils été découverts
dans trois régions distinctes ?7 » Harter s’intéressa
quant à lui particulièrement à l’identité de l’artiste,
ou des artistes, auteur(s) de ces oeuvres saisissantes,
avançant la possibilité d’un seul et unique atelier, en
dépit de la diversité des lieux où elles avaient été collectées8.
Ces questions soulevèrent immédiatement
des éléments qui s’avèrent essentiels aux arts des
Grassfi elds, se rapportant tant aux innovations stylistiques
qu’à la mobilité des artistes et des oeuvres
sur de vastes distances.
Le marché répondit immédiatement à ces premiers
questionnements de nature académique, et se manifesta
par une vague de collecte des cimiers tsesah.
Pendant cette période, pas moins d’une dizaine de
tsesah supplémentaires furent collectés dans la région
Bamiléké. Aujourd’hui, le corpus des premiers
cimiers tsesah comprend une quinzaine de pièces
majeures, réparties dans des collections privées et
publiques en Europe et aux États-Unis (parmi lesquelles
les fi g. 2, 8, 9 et 10, toutes visibles dans l’exposition
du Met). Même si les périodes coïncident,
ce ne sont pourtant pas les investigations et les dis-