entre les hommes et la nature –, gardien des lois du pays. Enfi n,
la dernière partie dédiée au travail des tisseurs de Ghost Nets
ou fi lets fantômes (fi g. 8) parle de la préservation environnementale.
Autant dire qu’il s’agit là d’une problématique globale
tristement pleine de sens pour les sociétés occidentales du
XXIe siècle !
Fait insolite, trois expositions dédiées à l’art aborigène sont
à l’affi che en ce moment en Suisse, l’une au MEG, l’autre
à l’Université, et celle de la Fondation Pierre Arnaud. Cela
résulte-t-il d’un engouement particulier pour cet art dans
ce pays ?
La concomitance de ces trois événements doit beaucoup au hasard
et, en ce sens, elle n’est pas porteuse de sens en elle-même.
Néanmoins, il est vrai que la Suisse a été d’une certaine manière
pionnière dans l’appréciation de cet art. Cela est évoqué dans
l’exposition et longuement développé dans le livre qui l’accompagne
paru aux éditions Arteos dans une version français - anglais.
Il y est rappelé notamment qu’il y a cent ans, en décembre
1917, Tristan Tzara récitait sa Chanson du serpent au fameux
cabaret Voltaire, introduisant ainsi la culture aborigène dans
la sphère de l’art contemporain. Ce chant, que l’artiste dada
avait trouvé dans l’opus en sept volumes de Carl Strehlow sur
les Arrente et les Luritja d’Australie centrale, renvoie à l’une des
formes les plus importantes de transmission des récits qui nourrissent
l’art australien, y compris dans ses formes plastiques les
plus contemporaines, telle la peinture à l’acrylique sur toile qui
s’est largement développée à partir des années 1970.
143
Trois questions à Georges Petitjean,
commissaire scientifi que
Comment défi niriez-vous la collection
de Bérengère Primat ?
À mes yeux d’historien de l’art, il s’agit
de la collection privée la plus engagée
et aboutie d’Europe. Et bien que bâtie
avec le coeur, elle possède une étonnante
cohérence qu’elle doit au fait qu’elle
s’est construite à partir de points d’ancrages
particulièrement forts. Je pense
par exemple à la terre d’Arnhem, et à
l’artiste John Mawurndjul dont les créations
ont fi guré dans la célèbre exposition
de 1989 Magiciens de la terre au
Centre Pompidou, très bien représenté
dans la collection avec des oeuvres allant des années 1980 à
2016. Dans le cas de la région du Kimberley, le noyau central
est formé par les oeuvres de Rover Thomas Jooloma, le premier
artiste aborigène qui a représenté l’Australie en 1991 à la Biennale
de Venise. Pour le désert, les fi gures de proue seraient Emily
Kame Kngwarreye (fi g. 7) et Clifford Possum Tjapaltjarri…
Comment s’articule le propos de l’exposition ?
Partant d’une collection privée, cette exposition cherche avant
tout à présenter au grand public l’art aborigène comme un
fait artistique d’une grande modernité bien qu’ancré dans une
culture millénaire, dont le langage plastique et les thématiques
vont bien plus loin que la propre localité. Il m’importait de sortir
des clichés et du regard fragmentaire porté notamment sur la
peinture – trop souvent réduit au « dot art » ou pointillé – pour
en souligner les nuances.
Pour cela, nous avons articulé le propos autour de cinq sousthèmes
essentiels. L’exposition débute par l’évocation de la
notion fondamentale dans toute l’Australie aborigène du Rêve,
cette dimension parallèle au temps vécu par les hommes, qui
englobe non seulement le passé, mais aussi le présent. L’art de
la terre d’Arnhem, enraciné dans des traditions millénaires, est
ensuite présenté notamment à partir d’une sélection de peintures
sur écorce. La troisième section est consacrée à l’art des
déserts australiens, d’où émergea le mouvement de peinture
contemporaine, au début des années 1971. L’art du Kimberley
est évoqué à partir de l’un de ses motifs les plus prééminents : le
Serpent Arc-en-ciel, père et mère de toute vie – et de ce fait lien
BÉRENGÈRE PRIMAT