Le musée du quai Branly-Jacques Chirac
acquit en décembre 2016 en vente publique un
bel exemple de siège cérémoniel de la région du
Moyen Sepik, en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
L’entrée de cette oeuvre sous le numéro d’inventaire
70.2016.57 (fi g. 1 et 8 a-b) nous sert de prétexte
pour étudier ce type d’objets conservés dans les collections
TABOURETS D’ORATEUR
DU MOYEN SEPIK
Réfl exions autour d’objets inaliénables
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du musée parisien et faire une synthèse sur
ce que l’on sait de leur usage.
Ces tabourets de grande taille se trouvent dans
les maisons cérémonielles à proximité d’un poteau
central. Ils sont fabriqués sur une aire géographique
qui couvre les bords du fl euve Sepik, occupés à
l’ouest par les Manambu, en aval par l’ensemble
des groupes Iatmul, au nord du fl euve par les
Sawos et plus au sud par les populations Chambri
et les villages de Blackwater1 (fi g. 4). Ils étaient et
sont encore utilisés lors des débats publics. Ils présentent
la particularité d’avoir été collectés dès les
premières expéditions allemandes au début du XXe
siècle, alors que les auteurs signalent depuis Otto
Reche que ces objets sont dits inaliénables au sens
que donnera plus tard Annette Weiner à ce terme.
C’est-à-dire que ce sont des objets liés à un groupe
de personnes qui, contrairement à d’autres biens
d’échange produits par ce même groupe (comme
du poisson, des monnaies, voire des sculptures), ne
peuvent être cédés à d’autres. Seuls le vol ou le pillage
permettaient de déplacer ces objets et de leur
donner de nouveaux propriétaires.
L’acquisition du très bel exemplaire du musée
du quai Branly-Jacques Chirac, collecté à une date
précoce, a soulevé à nouveau le paradoxe. Comment
en effet un objet réputé inaliénable dans les
sociétés qui les ont produits se retrouve, parmi
de nombreux autres, dans un musée occidental ?
S’agit-il d’une production précoce destinée aux
touristes ? D’un type d’objets ressemblant à des
tabourets d’orateur mais qui auraient eu un autre
usage ? Est-ce que ces objets auraient pu être acquis
par la force ? Cet article tentera d’apporter
quelques éléments de réponse à ces questions.
NOTES SUR LA COLLECTION DU MUSÉE
DU QUAI BRANLY – JACQUES CHIRAC
À ce jour, le musée parisien conserve quinze exemplaires
de tabourets d’orateur. Parmi ces quinze
pièces, quatre sont anciennes et ont été – du moins
pour deux d’entre elles (fi g. 1 et 9 a-b, ainsi que fi g.
8 a-b) – collectées au début de la période coloniale,
lorsque cette partie de l’île se trouvait encore sous
domination germanique.
Pour l’essentiel, les collections d’objets du Sepik
proviennent de collectes de terrain. La plus
ancienne campagne de collecte dans la région fut
DOSSIER
FIG. 1 (PAGE DE DROITE) :
Tabouret d’orateur. Moyen
Sepik, PNG. Fin XIXe - début
XXe siècle.
Bois, pigments, fi bres. H. : 123 cm.
Ex-coll. Ubersee Museum, Brême (vers
1910, num. D3607) ; Arthur Speyer,
Berlin ; Madeleine Meunier (épouse
Ratton), Paris, 11962 ; Bernard de
Grunne, Bruxelles, 2006 ; Collection
privée, New York.
Acquis lors de la vente de Sotheby’s
Paris du 14 décembre 2016, lot 31.
Musée du quai Branly - Jacques Chirac,
70.2016.57.
Avec l’aimable autorisation de
Sotheby’s.
Par Nicolas Garnier