FEATURE
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FIG. 14 (CI-DESSUS) : Vue de
l’exposition African Negro Art
at the Museum of Modern
Art, 1935, montrant le cimier
du Rietberg.
Archives of the Museum of Modern
Art, New York.
FIG. 15 (À DROITE) : Carte
des Grassfi elds du Cameroun.
Infographie d’Alex Copeland, www.
polariscartography.com.
FIG. 16 (PAGE DE DROITE,
À DROITE) : Le tsa, le
camp du chef, pendant une
célébration du Mandjong
dans la chefferie de
Bandjoun.
Photo : Dominique Malaquais, 1998.
Les édifi ces imposants et les places
qui composent les quartiers des
souverains Bamiléké se démarquent
dans le paysage des hauts plateaux des
Grassfi elds. Ce concept architectural
a été décrit par l’historienne de l’art
Dominique Malaquais comme une
forme de représentation du pouvoir
royal. L’iconographie complexe gravée,
la structure et l’agencement urbain des
édifi ces symbolisent le pouvoir du fon.
Ceux-ci servent de toile de fond et de
scène pour les réunions publiques et
les danses importantes.
s’inscrivait pas dans des cadres ethniques ou culturels
établis16. Les objets d’art étaient échangés et
vendus sur de vastes distances et il n’était pas inhabituel
pour les fon et les personnalités de haut rang de
commander des oeuvres à des sculpteurs renommés
travaillant dans des régions éloignées. Le mécénat
visant les cimiers tsesah confi rme cette mobilité cosmopolite
puisque des cimiers de ce genre ont été collectés
dans au moins huit chefferies distinctes, dont
certaines distantes d’une centaine de kilomètres. La
dispersion géographique de ces créations atteste non
seulement la popularité de cet art particulier auprès
des chefs Bamiléké, mais également la mobilité des
oeuvres et des sculpteurs (fi g. 15).
Le terme tsesah, que nous utilisons ici, et le terme
tsema’bu, tous deux souvent employé par le regretté
historien de l’art camerounais Jean-Paul Notué, sont
des noms vernaculaires qui soulignent la connexion
des cimiers avec des sociétés secrètes et des associations
de haut rang17. S’ils sont plus précis qu’un nom
topographique attribué de manière arbitraire, il faut
cependant garder à l’esprit que le mot tsesah servant
à désigner les cimiers découverts dans la région Bamiléké
peut lui aussi manquer de précision. Les cimiers
sont en effet appelés tsesah à Bandjoun, mais
portent des noms différents ailleurs, comme kamandoumze
à Batcham18, et tukah ou katso à l’ouest du
plateau Bamiléké19.
COMPRÉHENSION ACCRUE
Nous avons pu approfondir notre compréhension
des cimiers tsesah depuis les années 1960, en
grande partie grâce aux recherches de Harter dans
les années 1970 et 198020 et au travail de Notué
dans les années 1980 et 199021. Étant donné que
la dernière apparition lors d’une danse d’un cimier
tsesah à Bandjoun remontait à 1925, à l’occasion
des funérailles du fon Fotso II, les deux spécialistes
se sont principalement appuyés sur l’histoire orale
pour retracer les origines de cette tradition et comprendre
son importance dans le contexte Bamiléké.
On considère aujourd’hui qu’elle est née dans la
puissante chefferie Bamiléké de Bandjoun (fi g. 16),
étant donné que d’une part, plusieurs cimiers y ont
été collectés et que, d’autre part, un artiste local s’est
revendiqué comme l’héritier des anciens maîtres. La
source principale d’Harter et de Notué au sujet des
tsesah semble avoir été Paul Tahbou, un sculpteur
réputé et haut fonctionnaire de la Cour de Bandjoun22.
Se déclarant appartenir à une longue lignée
de sculpteurs de Bandjoun auteurs de ces oeuvres,
Tahbou s’est érigé en informateur de choix concernant
les cimiers et leur histoire, leur iconographie
et leur fonction. En raison de ses activités et de
son statut, il a pu fournir des renseignements sur
le contexte artistique et historique des cimiers ainsi
que sur leur fonction au sein des systèmes de gouvernance
Bamiléké.
Tahbou a également livré d’abondantes informations
relatives à l’interprétation formelle des tsesah
et à la généalogie des artistes responsables de
leur création. Pour lui, la forme générale du cimier
évoque la tête d’un hippopotame sortant de l’eau23.
Ainsi, une ligne de fl ottaison invisible marque la
transition entre le front vertical et les joues, le nez
et la bouche horizontaux et projetés vers l’avant.
Dans les chefferies Bamiléké, les hippopotames,
renommés pour leur puissance et leur capacité à se
déplacer tant sur terre que dans l’eau, sont perçus
comme des pi – des animaux puissants susceptibles
d’incarner le fon24. Par ailleurs, Tahbou assimile les
motifs géométriques incisés ornant la surface plane
du front à une évocation stylisée du ventre d’un crocodile,
un reptile omniprésent dans l’iconographie
des Grassfi elds et associé au symbolisme royal.
Tahbou a également donné le nom de certains
des auteurs de ces oeuvres monumentales, notamment
son propre père, Tehgah, et le sculpteur
Moube Nde25, qui avaient eux-mêmes appris leurs
techniques auprès des générations précédentes de
maîtres-sculpteurs dont les noms sont aujourd’hui
perdus. Notué put établir qu’à Bandjoun, les tsesah
étaient créés par plusieurs familles de sculpteurs
chevronnés, dont il put retracer les origines jusqu’à
Duygnechom, le deuxième chef de la chefferie qui ré-
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