PERSONNALITÉ
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FIG. 3 (CI-DESSUS) : Paddy
Bedford Jawalyi. Mont King.
2006.
Ocres naturelles sur toile de lin.
© Paddy Bedford Estate.
FIG. 4 (CI-DESSOUS) :
Bérengère Primat et l’un de
ses enfants observant Gloria
Tamerre Petyarre peindre.
Alice Springs, NT. 2009.
© Archives personnelles de B. Primat.
FIG. 5 (À DROITE) : Peinture
collaborative d’hommes
de Tjungu Palya. Watiku
Tjukurpa. 2017.
Polymère synthétique sur toile de lin.
© 2017, ProLitteris, Zurich.
seur du continent pour y avoir vécu la majeure
partie de son temps depuis l’âge de dix-neuf ans.
Ses contacts ont été déterminants car, il y a quinze
ans, l’accès aux artistes était très diffi cile, surtout
pour une non initiée. Il m’aurait fallu des mois
pour me créer un réseau sur place…
T. A. M. : C’est au cours de ces voyages que vous
avez commencé à acheter des oeuvres ?
B. P. : Absolument, même si à présent j’achète surtout
lors de ventes aux enchères. Pendant de nombreuses
années, c’est en Australie, et notamment
dans la région d’Alice Springs, que tout se passait.
J’y allais trois ou quatre fois par an, parfois pour
une longue période. Je me souviens particulièrement
d’un séjour de quatre mois au cours duquel
j’ai quitté la ville avec mes enfants pour aller dans
le désert avec sac à dos et sac de couchage. L’expérience
fut absolument incroyable.
L’autre jour je regardais des photos de ces séjours
en Australie et je me suis aperçue qu’au fi nal j’en
avais très peu. J’ai trouvé l’anecdote très révélatrice
: je n’y étais pas dans l’idée de faire un quelconque
reportage. J’étais concentrée sur le moment.
Je vivais. J’étais là-bas avec ma famille, j’étais bien
et c’était extrêmement enrichissant. En quelque
sorte, les photos de ces voyages sont mes tableaux !
T. A. M. : À vous entendre, votre rapport à l’art
aborigène apparaît comme essentiellement d’ordre
émotionnel…
B. P. : Breton a écrit « Aimer d’abord »2. Pour
moi, c’est tout à fait ça. Ma démarche est bien
d’oeuvres aborigènes que j’ai fi ni par accepter de
voir comme une collection, faute d’un terme plus
adapté en français à ma façon de vivre l’art…
Après, pourquoi l’art aborigène ? Tout simplement
parce qu’il m’a envoûtée !
T. A. M. : Nous voulons tout savoir !
B. P. : Comme toute belle histoire, elle est faite
de rencontres et de hasards qui n’en sont pas. Le
déclic a été la découverte fortuite du catalogue de
l’exposition Wati, les hommes de loi1. J’ai trouvé
une telle poésie dans les oeuvres qui y étaient
reproduites qu’il me fallait en savoir plus. Je me
suis rendue sur le lieu de l’exposition à Paris et, là,
au contact direct des peintures, la fascination n’en
a été que plus grande… Après cela, j’ai commencé
à lire sur l’art aborigène et à apprendre des choses
passionnantes sur cette culture plusieurs fois
millénaire fondée sur la transmission de valeurs
essentielles aussi universelles que le respect, la
solidarité, la compassion et la beauté. Le rapport
à la terre et au temps révélé dans les différentes
formes d’expression artistique – peinture, sculpture,
chant, etc. – me parlait particulièrement.
Autrement dit, j’ai vite été subjuguée !
Quelque temps après, les voyages en Australie
à la rencontre des communautés et des artistes se
sont succédé. C’est en famille que j’y suis partie,
avec mes enfants et mariée à la personne qui avait
organisé l’exposition Wati. Mon ex-époux est, en
effet, artiste peintre lui-même et grand connais-