TABOURETS D’ORATEUR DU MOYEN SEPIK
Il faut donc comprendre pourquoi, en présence
de cet interdit qui soustrait les tabourets à la sphère
des échanges – à l’inverse de la quasi-totalité de
la production matérielle du Sepik, y compris les
crânes surmodelés si nombreux dans les collections
muséales –, on trouve autant et à une date aussi
précoce de tabourets d’orateur dans les collections
européennes. Cinq hypothèses permettraient d’expliquer
l’arrivée relativement précoce d’un nombre
significatif de ces objets dans les collections allemandes
dès les premières années du XXe siècle : ce
serait une production spécifique pour les explorateurs
allemands, ou bien des tabourets provenant
de maisons d’adolescents, ou encore ces tabourets
pourraient provenir de pillages de villages voisins,
ou de régions où ces objets moins documentés
(chez les Sawos ou les Manambu par exemple) et
chez qui le caractère inaliénable est moins prononcé,
enfin ils auraient pu être obtenus par la force
par les premiers explorateurs étrangers.
On sait que très rapidement, les habitants du Sepik
se mettent à fabriquer des objets destinés à être
donnés, ou échangés auprès de visiteurs étrangers.
Cela concerne aussi les tabourets d’orateur. En témoigne
une photographie non datée prise au cours
des années 1920 attribuée au père Kirschbaum,
qui montre un empilement de nombreux tabourets
d’orateur, de toute évidence fabriqués peu de
temps avant la photographie (fig. 26)38. Ainsi les
premiers tabourets arrivés en Europe, en Australie
et aux États-Unis pourraient être liés à l’émergence
d’une production préfigurant la production touristique.
En réalité quelques mois à peine séparent
l’expédition menée par la Kaiserin-Augusta-Fluss-
Expedition (1912-1913), qui ne comprend pas de
tabourets, de l’arrivée des premiers sièges de ce
type dans les collections publiques allemande. Il est
alors difficile de croire que cet objet culturellement
si protégé ait fait l’objet d’une transformation aussi
rapide d’un objet sacré en marchandise.
On pourrait alors penser que les tabourets d’orateur
viendraient de maisons secondaires de type ntegal.
Tandis que Reche décrit un tabouret très richement
orné, les premiers tabourets arrivés en Europe
sont à l’inverse rarement pourvus de coquillages
ou d’ornements autres que sculptés et peints. Cette
absence d’ornementation spectaculaire, le propre
des grands tabourets d’orateur si l’on en croit la
photographie publiée par Otto Reche, viendrait en
effet confirmer que ces objets seraient des versions
113