PERSONNALITÉ
T. A. M. : Cela dit, quand on regarde la sélection
d’oeuvres que vous présentez dans l’exposition
de la Fondation Pierre Arnaud, on découvre une
collection avec une forte identité, très représentative
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de la profondeur géographique, mais aussi
chronologique, de l’art aborigène. Il est diffi cile de
croire que la raison ne vous a jamais guidée dans
vos choix…
FIG. 6 (CI-DESSOUS) : Paddy
Compass Namatbara. Esprits
Mimihs. 1960.
Ocres naturelles sur écorce.
© 2017, ProLitteris, Zurich
B. P. : Il est vrai que je possède des oeuvres refl étant
assez bien l’art de diverses parties du territoire
australien. La raison est simple : je n’ai pas
vécu uniquement dans le désert ! J’ai séjourné,
par exemple, dans la terre d’Arnhem. J’y suis
restée moins longtemps qu’à Alice Springs, certes,
mais j’y ai vécu des expériences très intenses :
une femme peintre aborigène m’a même offert un
nom de parenté (kinship)… L’exception pourrait
être les Kimberley, où je n’ai pas passé de longues
périodes. Mais j’ai quand même rencontré des
artistes de cette région dans d’autres contextes.
Et puis vous savez, la citation de Breton que
j’évoquais tout à l’heure se poursuit avec des
mots que j’ai fait totalement miens : « Il sera toujours
temps, ensuite, de s’interroger sur ce qu’on
aime jusqu’à n’en vouloir plus rien ignorer. »
Par la force des choses, c’est ce que j’ai fi ni par
faire. Je ne pouvais pas en rester à une démarche
superfi cielle. J’ai lu énormément, ce qui a fait
naître de nouveaux centres intérêt et m’a permis
d’apprécier d’autres choses. J’ai pu aussi faire des
liens entre l’art de différentes régions, comme par
exemple les représentations des cycles Tingari qui
se retrouvent sur plusieurs supports : les toiles
du désert, les nacres du Kimberley, et autres. Plus
on apprend, plus on a envie de savoir et plus on
s’aperçoit de ce qu’il nous reste à apprendre !
T. A. M. : De nature discrète, vous vous êtes
retrouvée sur le devant de la scène avec Territoire
du Rêve. Qu’est-ce qui vous a poussée à franchir
le pas et à sortir de votre sphère privée ?
B. P. : Plusieurs amis me disaient régulièrement
qu’il fallait que je montre ma collection. Dans
mon for intérieur, je commençais à en avoir le
désir. Connaissant bien les artistes, je savais à quel
point la notion de transmission est importante.
Cette conscience a réveillé en moi une forme de
responsabilité : je devais moi-même assurer un
rôle de passeur. Il était hors de question de vivre
entourée d’art aborigène uniquement pour mon
propre plaisir !
L’idée donc d’une exposition faisait sens. Mais
je souhaitais la monter dans un bel endroit, avec
un regard contemporain. Je ne voulais pas d’un
musée d’ethnographie – même si l’exposition du
MEG, et notamment les installations de Brook
Andrew qui s’y trouvent prouvent qu’il est possible
de révéler la modernité de l’art aborigène
plus instinctive qu’intellectuelle. Au début, j’achetais
essentiellement ce qui me plaisait esthétiquement.
Mais avec le temps, mes relations avec les
artistes, l’intérêt pour les personnes et leur univers
individuel sont devenus des aspects déterminants
dans mon processus d’acquisition. Quand, dans
les ventes aux enchères, je vois passer une oeuvre
d’un artiste avec lequel j’ai un vécu, je suis immédiatement
tentée de l’acheter.