AFRIQUE, à l’ombre des dieux
PILAT 2017
CATÉGORIE FRANÇAIS
Sous la direction de Nicolas Rolland
Coédition de la Congrégation du
Saint-Esprit et de Somogy éditions d’Art
24,6 x 28 cm, 220 pages,
203 illustrations.
Trois questions à Nicolas Rolland
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2017Avec cette exigence de se référer à l’expérience ethnographique, Alexandre Le Roy rejoignait
les préoccupations contemporaines de la Société apostolique du Verbe Divin, fondée par un
prêtre allemand, Janssen, à Steyl (PaysBas)
en 1875. Très vite, ses membres avaient pensé
que l’étude scientifique de l’humanité, autrement dit l’ethnoanthropologie,
devait faire partie
intégrante du travail même du missionnaire, ce qui était neuf, même si de fait les apôtres
avaient dû toujours, depuis saint Paul, étudier les langues et les sociétés.
Une tribune et un outil : la revue Anthropos
Le promoteur de cette révolution fut le père Wilhelm Schmidt (18681954).
Jeune prêtre, il
avait étudié deux ans les langues du MoyenOrient
à l’université de Berlin, puis il enseigna la
linguistique, la science des religions et l’ethnologie en Autriche à partir de 1896, d’abord au
séminaire de SaintGabriel,
près de Vienne, dont il fréquenta la Société d’anthropologie, puis
à l’université de Vienne de 1921 à 1938 et enfin en Suisse, à Fribourg, de 1939 à 1951. Dès 1906,
il établit la parenté de la langue khmer avec les langues de l’Asie du SudEst
et de l’Océanie.
Cet ouvrage, récompensé par l’Institut de France et l’Académie impériale des sciences en
Autriche, le rendit célèbre. La même année, il fonda la revue internationale Anthropos pour
la linguistique et l’ethnologie, qu’en 1938, vu son opposition au nazisme, il expatria avec lui
en Suisse, où il s’éteignit à l’âge de quatrevingtsix
ans11. Anthropos faisait appel à tous les
savants et à tous les missionnaires, publiait dans toutes les langues européennes, donnait un
compte rendu des revues et ouvrages à caractère linguistique ou ethnologique.
Dès la première année, Schmidt donne luimême
en français une recension du livre sur les
Pygmées de Le Roy paru l’année précédente12. Il en loue le caractère exhaustif, récapitulatif,
ainsi que les observations de première main faites par l’auteur et ses confrères aussi bien en
Afrique de l’Est qu’en Afrique de l’Ouest. Il remarque que c’est la première fois qu’on étudie
la vie intellectuelle, sociale, morale et religieuse de ces groupes. Le Roy, qui parle les langues
bantu qu’ils utilisent, relève le côté primitif des Pygmées, mais, à la suite des anthropologues
« Fétiche des Mpongwés »,
crayon sur papier,
extrait de En passant,
croquis de route (Gabon),
Alexandre Le Roy, 1895.
Statuettes
à pouvoirs nkisi
Aire culturelle Kongo,
Congo/Angola (province de Cabinda)
Fin XIXe, début XXe siècle
Bois, pigments, verre,
résine, tissu
31 cm
Ancienne collection CSSp
Collection privée
80 81
203
Couvercle à proverbe
Peuple Hoyo,
Angola, (province de Cabinda)
Fin XIXe, début XXe siècle
Bois
Diam. 24 cm
Collection CSSp
Tête reliquaire
Peuple Bembé, Congo
Fin XIXe, début XXe siècle
Tissu, bois, pigments, os,
fibres végétales
19 cm
Collection CSSp
202
L’arrivée et l’avancée des Spiritains
en Afrique équatoriale
Paul Coulon
Dans le bref panorama d’ensemble donné dans l’introduction à ce volume sur l’histoire
de la Congrégation du Saint-Esprit, on a souligné son implantation progressive
sur le continent africain depuis son arrivée à Saint-Louis du Sénégal en 1778. Il nous
faut maintenant nous attarder plus particulièrement sur le développement de la mission
spiritaine en Afrique à partir du Gabon vers le sud et vers l’intérieur, puisque la majorité
des cultures dont il sera question dans cet ouvrage relève de ce que l’on pourrait appeler
l’Afrique équatoriale. Reprenons donc cette histoire au moment où le père Libermann envoie
ses premiers missionnaires vers l’Afrique…
L’arrivée au Gabon après la catastrophe initiale
La première équipe de Libermann part de Gorée, au Sénégal, vers le cap des Palmes, une rade
stratégique plus au sud (entre l’actuel Liberia et la Côte d’Ivoire), alors sous influence anglophone1.
Malgré une préparation minutieuse (vingt tonnes de matériel apportées par bateau
et des marches d’entraînement en France allant jusqu’à soixante-dix kilomètres par jour !),
l’expérience au cap des Palmes se termine en quelques mois par une véritable hécatombe :
la dureté du climat avait été mal appréciée2.
Première implantation : Sainte-Marie de Libreville
Les rescapés, le père Bessieux et les frères Grégoire et Jean – que l’on croyait disparus –,
cherchent une meilleure base plus au sud et arrivent au Gabon en septembre 18443. L’équipe
est d’abord hébergée au Fort d’Aumale, sur une colline cédée à la France en 1843 par le roi
de Qaben4. Le port sert de relâche pour les navires de guerre surveillant le commerce (ivoire,
ébène, bois rouge) et la traite des Noirs. La première mission du Gabon est créée à Sainte-
Marie, près de l’actuelle Libreville.
Les dix-huit premiers mois au Gabon se déroulent sans plan bien établi. La situation sur le
continent africain n’est pas celle initialement envisagée « dans les îles » par les missionnaires
du Saint-Coeur de Marie, et il ne s’agit plus pour eux maintenant de s’occuper des esclaves
d’Amérique ramenés notamment au Liberia, mais bien plutôt d’annoncer l’Évangile sur des
terres encore totalement inconnues.
Le père Léonard Allaire (1870-1947)
et ses forgerons, Bessou, Congo,
vers 1895.
21 20
Tribal Art magazine : Cet ouvrage a retenu l’attention
du jury du PILAT tant par la collection peu connue
qu’il révèle, que par l’analyse de la contribution des
sociétés missionnaires, et particulièrement celle de la
Congrégation du Saint-Esprit, à la connaissance des arts
d’Afrique. Comment est né ce projet ?
Nicolas Rolland : Le rôle joué par les missionnaires
chrétiens dans la diffusion des connaissances sur
l’Afrique est absolument essentiel pour qui s’intéresse
aux cultures de ce continent. La congrégation du
Saint-Esprit fut, par l’ancienneté et l’étendue de son
implantation, une institution missionnaire majeure en
Afrique. Il était urgent de diffuser auprès du public
l’histoire des spiritains et la manière dont ces derniers
s’intéressèrent aux cultures autochtones, notamment
à travers la constitution d’importantes collections
ethnographiques. Voici quelques années, j’ai soumis
ce projet à la Congrégation, qui en a compris l’intérêt
et l’importance. Il n’est pas toujours évident de revenir
sur sa propre histoire, de la mettre en perspective, de
l’exposer à un regard critique. Mais les spiritains étaient
prêts et ils m’ont accordé leur entière confi ance, mettant
à ma disposition l’ensemble de leurs archives et me
permettant d’accéder à leurs collections d’objets ; un
grand privilège quand on pense à la confi dentialité dont
elles font l’objet.
SPÉCIAL PILAT