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ces objets pour les vivants comme pour les morts,
et probablement le rôle au moins symbolique qu’ils
pouvaient jouer dans la négociation des pouvoirs
et des infl uences. De manière générale, la tradition
textile a traversé les siècles jusqu’aux Incas en
s’adaptant aux exigences culturelles et politiques
successives ; elle se décline en autant de cultures qui
se sont développées le long de la côte péruvienne,
en autant de royaumes, d’hégémonies successives
qui ont chacune développé leur style particulier.
PANORAMA CULTUREL
Vers 250 av. J.-C., se développe sur la côte sud
péruvienne le style Paracas autant sur la céramique
que dans le textile. À en juger par l’exigence de
la réalisation des motifs et de l’iconographie, les
tisserandes paracas font preuve d’une éblouissante
technique. Armure à la chaîne, double, voire
triple étoffe, autant de techniques élaborées afi n
de donner vie aux êtres mythiques représentés
sur les tuniques et les mantes. Un des sites remarquables
de cette période est celui d’Ocucaje10, un
bassin de la côte sud péruvienne qui sera absorbé
par la civilisation Nasca par la suite. Les fardos
y étaient surmontés de fausses têtes en fi bres de
coton couvertes d’un pan de coton tissé et peint,
décorées de bandeaux. C’est également là qu’on
a trouvé les plus vieux exemplaires de mantos « à
échafaudage » – une technique consistant en des
segments de chaînes et trames discontinus. Les
fardos, retrouvés au fond de fosses ou dans des
caveaux d’adobe, étaient accompagnés de céramiques
de qualité : la diversité des tenues d’apparat
et des offrandes semble suggérer que les populations
de ces régions étaient issues d’une zone bien
plus large que les Andes du Sud, ce qui suggère que
la région d’Ocucaje était un carrefour d’infl uences.
Bien souvent d’ailleurs, ces échanges se traduisent
par la présence de plumes d’oiseaux amazoniens ou
de coquilles de Spondylus, un coquillage que l’on
trouve au large de l’Équateur.
Les textiles paracas sont également les chefs
de fi le dans la maîtrise de la broderie, largement
représentée, que ce soit dans le style dit « linéaire »
ou « à larges bandes » ou plus tard dans le style
« naturaliste » ou « blocs de couleurs »11. Ils développèrent
une iconographie foisonnante : fi gures
mythiques à tête rabattues en arrière, oiseaux, poissons,
guerriers, félins, têtes trophées se retrouvent
dans l’iconographie paracas et par la suite nasca
(fi g. 18). Cette extraordinaire variété révélée par
la complexité des motifs sous-tend des infl uences
mutuelles et des échanges dus à la circulation des
productions tisserandes entre les cultures. Ces motifs,
d’ailleurs, se retrouvent sur des tissus peints
aussi bien que dans la céramique, et contrairement
à ce qu’on a pu penser, c’est bien le textile et les
motifs du textile qui infl uencent les autres arts et
non l’inverse. Avec l’arrivée de l’hégémonie nasca,
les motifs se feront moins singuliers et moins naturalistes
: plus diffusés, ils reviendront à des modèles
de symbolisme qui sont plus homogènes.
Sur la côte centrale du Pérou, on trouve le style
éponyme de la vallée de Chancay. Il y a peu d’informations
disponibles sur ce style, faute de fouilles
réalisées dans les tombes. La source d’informations
principale, outre la céramique, provient des « poupées
», ces petites fi gurines miniatures d’offrandes
funéraires qui étaient habillées. Plusieurs d’entre
elles représentent d’ailleurs des femmes en train
de tisser (fi g.9 et 10). On y distingue, entre autres,
quelques caractéristiques : les tissus sont faits de
deux lés de tissu, cousus entre eux, souvent peu
décorés, et témoignent de quelques couleurs peu
stables telles que le bleu, l’orange ou le brun. On
FIG. 20 (CI-DESSOUS) : Vase
tête trophée. Nasca, côte sud,
Pérou. Intermédiaire ancien,
100-600 apr. J.-C..
Terre cuite. H. : 10,6 cm.
Inv. AAM 46.7.151.
© KMKG-MRAH.
TEXTILES DES ANDES