FEATURE
révèlent, encore une fois, la maîtrise des techniques
de teinture. À l’aide de batteries de tests scientifi
ques, la science est capable aujourd’hui d’identifi
er une kyrielle d’origines de colorants : des arbres
étaient utilisés, le chêne, le noyer ou l’acajou ;
diverses plantes et certains mollusques marins servaient
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à l’extraction d’indigo, largement employé
; le rouge provenait de la cochenille, mais aussi de
certaines lianes ; certains peuples comme les Nasca
utilisèrent en complément l’ocre, le charbon, les
cendres, le plâtre ou encore le cinabre, etc. La liste
n’est pas exhaustive.
Enfi n, nous mentionnerons l’usage de la plume.
Luxueuse car importée de régions reculées, telles
que l’Amazonie, la plume présente en outre certaines
caractéristiques – comme sa capacité à
changer de couleur – qui lui confèrent une aura
magique. Certains exemples de plumes teintes nous
sont parvenus, mais rares, car le plumage chatoyant
des perroquets ou volatiles tropicaux rendait la
teinture de la matière obsolète7. Les ouvrages en
plumes étaient réalisés comme des « mosaïques »
créées à partir de centaines de fragments empilés
en tuiles pour créer le motif, et nécessitaient donc
de grandes quantités de matières premières ; d’où
la préciosité de ces objets. La plupart des exemples
de plumasseries parlent d’eux-mêmes tant ils sont
somptueux (fi g. 6). Le Museum aan de Stroom
d’Anvers ou le musée royal d’Art et d’Histoire de
Bruxelles en conserve quelques exemples qui valent
le détour. La technique est tellement remarquable
qu’elle sera reprise par des Européens pour créer
des tableaux de plumes de scènes religieuses occidentales,
telles que la célèbre Messe de Saint Grégoire,
datée de 1539 et réalisée à Mexico, conservée
au musée des Jacobins à Auch, et qui avait
été exposée lors de l’exposition Plumes, visions
de l’Amérique précolombienne du musée du quai
Branly - Jacques Chirac en 2017. Un chef-d’oeuvre
incontesté de l’art colonial.
TECHNIQUE DE CRÉATION
En ce qui concerne la réalisation, les tisserandes
andines ont expérimenté pratiquement toutes les
techniques imaginables qu’offre le fi l pour créer
leurs oeuvres et façonner leurs décors. Transmises
oralement de génération en génération, certaines
de ces technologies sont parmi les plus évoluées
dans le monde. Les détails des techniques et types
de tissages ont été largement décrits dans la littérature
scientifi que8. Évoquons ici seulement que la
pièce maîtresse de toute cette architecture textile
demeure le métier à tisser, comme l’explique Desrosiers
dans son article9. C’est dans sa simplicité et
son maintien tout au long de la période que réside
la clef de voûte de tant de savoir-faire. Le métier
à tisser andin est composé de deux barres autour
desquelles sont ourdis en continu les fi ls de chaîne,
séparés en deux nappes pour faire passer le fi l de
trame. On n’a donc pas besoin de couper les fi ls :
on obtient un tissu à deux ou quatre lisières. Il en
découle que les tissus andins n’étaient ni coupés ni
ourlés : une façon tout à fait différente de concevoir
le textile. Les tisserandes andines actuelles
parlent encore du tissu comme d’un être animé,
vivant. On comprend, dès lors, l’importance qui
lui était accordée.
D’autres techniques sont employées : la tapisserie,
les réseaux à points bouclés, le fi let, le tressage,
et bien d’autres encore ; nous n’entrerons pas plus
avant dans les détails d’une telle diversité et complexité
; mais encore une fois, force est de constater
la richesse infi nie des textiles précolombiens et la
place qu’ils prenaient au sein de la société.
Le dénominateur commun à tous ces styles de
tissage est de toute évidence l’attention, le soin,
l’effort investis dans la confection des textiles. La
richesse des fardos, mantos et coiffes destinés aux
défunts sont la preuve de l’importance que revêtent
FIG. 19 (CI-CONTRE) :
Masque funéraire
Mochica, côte nord, Pérou.
Intermédiaire ancien, 100-
600 apr. J.-C.
Alliage or et cuivre, coquillage, pierre.
H. : 26 cm.
Inv. 119156
© Linden-Museum Stuttgart.
Photo : A. Dreyer.