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MATIÈRES PREMIÈRES
Si le travail de l’orfèvrerie n’était pas considéré
comme le plus noble par les populations andines,
c’est aussi parce que l’or, mêlé à la boue des rivières,
abondait. À l’inverse, les fibres de coton ou
les laines des camélidés constituaient une denrée
d’importation et de qualité : le matériau même
était considéré comme prestigieux, puisqu’il faisait
état d’échanges lointains et d’une maîtrise certaine
de la domestication des camélidés. Le degré
d’élaboration d’un tissu et le temps consacré à sa
fabrication étaient deux facteurs déterminants de
la valeur de ces parures – surtout quand on sait
que certaines parures représentaient plus de dix
ans de travail. Communément, il est dit que ces
matières premières étaient importées directement
depuis les hautes terres de la cordillère, voire de
régions plus lointaines. Aujourd’hui, il existe deux
sortes de laines de camélidés venues des Andes :
l’alpaga, et la vigogne. On pourrait imaginer que
tel était le cas voici quelques milliers d’années. Or,
l’étude des matières premières utilisées dans les
textiles avant la Conquête révèle une réalité bien
plus complexe, avec une répartition des espèces
différente de celle que nous connaissons. Si le climat
sec et aride de la côte sud et centrale du Pérou
permet la bonne conservation des tissus, il assure
également la préservation de corps d’animaux,
comme ceux de nos fameux camélidés. Dans
le site de Huanchaquito-Las Llamas, au
nord du Pérou, ont été retrouvés plus
de deux cents camélidés sacrifiés, dont
on a pu identifier qu’ils avaient été
sélectionnés pour la couleur de leur
pelage. D’autres tombes de camélidés
momifiés attestent de la présence d’espèces
aujourd’hui disparues. De plus, les
études ADN ont montré que ces camélidés
possédaient à l’époque des fibres plus fines
et donc de meilleure qualité pour le tissage,
comme l’expliquent Elise Dufour et Nicolas
Goepfert dans leur article publié dans
le catalogue de l’exposition Inca Dress
Code. Ainsi, lamas, alpagas et vigognes
pouvaient fournir de la laine de qualité.
Et plus encore ! La biogéochimie isiotopique
– une technique au nom effrayant
mais à l’efficacité redoutable – permet
de déterminer l’origine géographique
de l’animal à partir d’une fibre… Une
merveille technologique qui permet aujourd’hui
d’affirmer que l’élevage des troupeaux n’était pas
uniquement restreint aux hautes altitudes, mais
qu’une bonne proportion de camélidés se trouvait
en milieu côtier. Il s’agit là d’une révolution dans la
pensée du système d’échange et de transport de ces
matières premières chez les peuples préhispaniques
: on sait par exemple désormais que les laines des
tissus Chancay provenaient des hautes altitudes,
et donc étaient acheminées jusqu’à la côte. À
l’inverse, les tissus Lambayeque étaient
produits à partir de laine locale. Les
révélations de la science mises en lien
avec l’étude stylistique ouvrent des
voies de réflexion très prometteuses.
TEINTURES ET COLORANTS
Les teintures et colorants sont un autre
élément majeur dans la fabrication des
textiles andins. Issus de plantes et d’animaux,
leur extraction permet une gamme
de teintes impressionnante décuplée
par la couleur même des fibres originelles
de l’animal ou du coton, qui
elles-mêmes se déclinaient dans tout
un nuancier. On ne peut s’empêcher
d’admirer, face notamment
à des exemples nasca ou wari, la
conservation d’une telle palette
de couleurs : bleu, rouge, jaune,
mauve, rose, vert. Les coloris se sont
exceptionnellement bien conservés et
FIG.12 (À DROITE) : Sommet
de masque ou de coiffe.
Mochica, côte nord, Pérou.
Intermédiaire ancien, 100-
600 apr. J.-C.
Alliage or, argent, cuivre. H. : 25 cm.
© Linden-Museum Stuttgart.
Photo : A. Dreyer.
FIG. 13 (CI-DESSOUS) : Vase
à anse-goulot en étrier à
décor peint. Mochica, côte
nord, Pérou. Intermédiaire
ancien, 100-600 apr. J.-C.
Terre cuite. H. : 29,3 cm.
Inv. AAM 39.84.
© KMKG-MRAH.
TEXTILES DES ANDES