au retour en force du seul bonnet péruvien. Cependant,
100
la tradition perdure. Un exemple simple présenté
par Penelope Dransart dans son article13 est
celui de l’urkhu ou anaku, vêtement porté par les
femmes aymara et chipaya des régions nord du
Chili et de la Bolivie. Ce vêtement, constitué de deux
pans en laine tissés, et réunis sur les côtés afi n d’être
cousus bord à bord pour refermer l’habit, montre
un exemple d’adaptation moderne d’un modèle traditionnel
préhispanique. Même si cette tradition se
perd au profi t de cardigans manufacturés, la production
contemporaine est réelle et continue d’être
utilisée pour les cérémonies, et pour le quotidien.
De somptueux exemples de ces réalisations aymara
ont été produits tout au long du XIXe siècle14.
Le tissu précolombien dans son ensemble est une
source primordiale de compréhension des peuples
précolombiens car il rassemble des informations à
la fois techniques, iconographiques et esthétiques.
C’est une source inestimable par sa conservation
qui nous permet d’en savoir plus sur tous les aspects
de la vie des peuples précortésiens : leur savoir
faire à travers les techniques de tissage, leur
vie quotidienne à travers les types de vêtements
retrouvés, leurs croyances via l’iconographie, et
leur développement à travers les fl ux de matières
premières… Et l’on parle de plus de cinq mille ans
d’histoire. On trouve à la fois des coloris impressionnants,
avec des gammes nuancées passant du
rose au bleu canard, des motifs foisonnants d’une
complexité iconographique et technique élevée
aussi bien que des aplats de couleurs d’une modernité
ahurissante, digne de tableaux de Rothko ou
de Soulages, tant leur force esthétique est en avance
sur leur temps. Via de nouvelles fouilles, ou bien
de nouvelles techniques, et par la ténacité des chercheurs,
nous continuons encore aujourd’hui à en
apprendre sur ces peuples et leurs coutumes, déconstruisant
au fur et à mesure les idées reçues, les
égarements de l’histoire. Les Incas et leurs illustres
ancêtres n’ont décidément pas fi ni de nous éblouir.
NOTES
1. Ce manque de reconnaissance est d’autant plus frappant
que, dans les dernières années, plusieurs expositions notoires
ont exploré le sujet. Paracas : trésors inédits du Pérou ancien
du musée du quai Branly en 2008 ou, plus récemment,
Balance and opposition: in Ancient Peruvian Textiles au
Saint Louis Art Museum, présentée dans le dernier numéro
de cette publication, sont deux exemples parmi d’autres.
2. Le manteau dit de Moctezuma est une large cape en plumes
conservée au musée royal d’Art et d’Histoire de Bruxelles. Ce
chef-d’oeuvre de la plumasserie a été attribué à Moctezuma
II, le célèbre empereur aztèque, dès le XVIIIe siècle. Il faudra
attendre presque deux cents ans pour que la pièce soit enfi n
attribuée correctement à l’ethnie Tupinamba du Brésil.
3. Un manto (mante en français) est un vêtement ample et
sans manches, porté au-dessus des autres vêtements pour se
protéger du froid, que l’on trouve souvent enveloppant les
corps des paquets funéraires.
4. Elena Phipps, « Traditions vestimentaires dans les Andes :
structure, genre et identité », Inca. Textiles et parures des
Andes, K.M.K.G./M.R.A.H., Bruxelles, éd. Ludion, 2018.
5. Il s’agit de Nueva crónica y buen gobierno (Nouvelle
chronique et bon gouvernement), rédigé par Felipe Guamán
Poma de Ayala pour le roi d’Espagne.
6. On a retrouvé, dans les années 1980, des tombes de
femmes et fi llettes très bien conservées par le gel,
dans les hautes altitudes andines, qui ont été une mine
FIG. 24 (À DROITE) : Sac à
coca. Inca, Pérou. Horizon
récent, 1450-1532 apr. J.-C.
Laine de camélidé, coton. 81 x 89 cm.
© Linden-Museum Stuttgart. Photo :
A. Dreyer.
DOSSIER
Inca Dress Code L’ensemble des recherches
présentées dans cet article trouvent leur source dans le
catalogue de l’exposition Inca Dress Code, présentée par
le musée royal d’Art et d’Histoire de Bruxelles, qui offre
une synthèse sur le textile andin précolombien à travers la
présentation d’un ensemble d’articles et essais rédigés par
différents experts. En effet, le musée du Cinquantenaire
ouvre les portes d’Inca Dress Code, un titre accrocheur
pour une exposition sans pareille rassemblant près de
deux cent cinquante pièces, provenant des collections du
musée, prêtées par le Museum aan de Stroom d’Anvers, le
Linden Museum de Stuttgart et le musée du quai Branly -
Jacques Chirac, ou issues de collections privées. L’exposition
offre un parcours chronologique vaste et complet
pour un accrochage en trois parties : une première partie
expose tout ce qu’il faut savoir sur le textile et la création
des tissus andins précolombiens (les différentes techniques,
l’iconographie, les codifi cations, les matières premières…)
afi n de mettre en exergue les savoir-faire et la maîtrise
des tisserands andins. La seconde partie de l’exposition,
dans une salle de neuf cents mètres carrés, présente ces
chefs-d’oeuvre textiles et montre leur infl uence sur tous les
autres arts. Enfi n, une troisième partie confronte ces techniques
avec les artefacts de l’époque de la colonisation, en
mettant en lumière les changements dans les motifs mais le
maintien de la technique jusqu’à nos jours, avec quelques
exemples contemporains.
L’exposition, présentée en anglais, français et néerlandais,
durera jusqu’au 24 mars et s’accompagnera d’ateliers
et de conférences. De plus, au mois de mars sera organisé
un colloque international sur les textiles anciens précolombiens
qui réunira des spécialistes du monde entier.