MUSÉE À LA UNE
Les artefacts culturels ont ensuite été acquis en
grand nombre par les offi ciers et administrateurs
coloniaux du XIXe siècle qui ont suivi. Toutefois, les
oeuvres particulières de l’exposition ont été reçues par
les Européens comme cadeaux ; pour les peuples du
Pacifi que, l’idée de cadeau et de la relation réciproque
qu’il engendre est restée une constante. De manière
cohérente avec les protocoles d’échanges à
travers la région, la présentation formelle de
cadeaux de haut rang a, dans certains cas, permis
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aux objets de circuler, acquérant de nouvelles
histoires et biographies qui augmentent
le statut du donneur et créent une dette qui lie
inévitablement chaque partie à l’autre.
Au tournant du XXe siècle, l’art océanien
était très prisé par une multitude d’artistes
européens d’avant-garde occupés par la réinvention
de la modernité. Pablo Picasso,
Jacob Epstein, André Derain et Henri Matisse
faisaient partie de ceux qui ont été inspirés
et enthousiasmés par l’esthétique radicale
et l’interprétation de forme audacieuse.
Aujourd’hui, nos paramètres de compréhension
de ces oeuvres continuent de croître. La
recherche collaborative entre les ethnographes
de musée basés en Europe et les nouvelles
générations d’érudits, d’artistes et d’acteurs
culturels du Pacifi que a mené à de nouvelles
évaluations dynamisées. De tels échanges
soulignent la résonance continue des trésors
ancestraux (taonga en maori) pour les générations
actuelles du Pacifi que. Les traditions
et le protocole coutumiers restent particulièrement
vivants dans la région du Pacifi que. En
effet, un grand nombre de prêts majeurs pour
Oceania sont accompagnés par les anciens
des tribus qui ont supervisé les protocoles
culturels appropriés pour ces trésors ancestraux
lorsqu’ils ont été installés à la Royal Academy. Ces
héritages précieux n’ont pas seulement une valeur
en tant que vestiges d’une époque révolue ; ils ont
aussi une fonction de vecteurs de pouvoir spirituel
ou mana. En tant que vestiges du passé, ils portent
les marques des mains ancestrales qui les ont façonnés.
Pourtant, ils ne sont pas seulement vus simplement
comme des objets conçus par les ancêtres, ils
sont les ancêtres. Les protocoles rituels incluent la
rythmique et la récitation régulière de chants par
les anciens versés dans l’art oratoire et permettent
d’animer et d’activer les relations continues entre les
morts et les vivants, avec ceux qui sont partis, mais
sont reconnus comme étant toujours présents dans
l’héritage culturel et les oeuvres d’art exposées. En
ce sens, les oeuvres du Pacifi que peuvent être comprises
comme ayant de l’agency. Reliant le passé et
le présent, elles nouent activement le contact entre la
communauté et son passé, canalisant et stimulant les
relations ancestrales à un moment approprié.
Les oeuvres monumentales reprises dans
l’exposition de la Royal Academy démontrent
la richesse, la vitalité et l’accomplissement des
civilisations du Pacifi que. L’incroyable créativité
et niveau de compétence dans l’exécution
d’un simple hameçon sont tout aussi remarquables.
Tout bénéfi ciait d’un soin et d’une
attention extrêmes. Dans les traditions occidentales
de philosophie et de sciences, l’être
humain se trouve en haut d’une pyramide
d’évolution qui classifi e la nature comme une
catégorie distincte et séparée, sanctionnant le
droit des humains d’exercer une domination
sur la fl ore et la vie marine, sur les oiseaux
et les animaux. Par contraste, les peuples du
Pacifi que comprennent leur relation avec la
nature et l’environnement comme une relation
de parenté. Les généalogies vont au-delà
des affi liations tribales vers une identifi cation
avec les êtres divins apparentés à des oiseaux
qui ont émergé des ténèbres il y a des milliers
d’années, pendant l’ère de création où les îles
ont fait surface et les premières générations de
dieux et de chefs ont surgi des vrilles et racines
de tubercules jaillis du sol riche et fertile de la
terre nourricière. En effet, toute chose – animée
ou inanimée – possède le mana.
En tant que jeunes descendants d’une chaîne
vivante d’êtres, la génération actuelle joue un
rôle crucial comme gardienne (kaitiaki en maori) de
nos ressources les plus précieuses : l’eau et la terre.
La relation des peuples du Pacifi que avec l’océan
continue d’être vitale. Dans cette ère globalisée
d’hypermobilité et de consommation, à l’heure où
le changement climatique menace l’existence même
d’un grand nombre de ces nations insulaires, faire
connaître ces arts du Pacifi que n’a jamais été aussi
important. Cette nouvelle exposition passionnante
nous offre une occasion opportune de recadrer et
revitaliser notre relation avec le plus majestueux des
océans comme connecteur vital de tous nos mondes
entremêlés.
FIG. 7 (CI-DESSOUS) :
Figure féminine tatouée gure.
Aitutaki, îles Cook. XVIIIe ou
début du XIXe siècle.
Bois, pigments. H. : 58 cm.
Five Continents Museum, Munich.
Photo : Marianne Franke.
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FIG. 8 (EN HAUT) : Tene
Waitere (1853-1931),
panneau ta moko. Maori,
Nouvelle-Zélande. 1896-
1899.
Bois, pigments. H. : 78 cm.
The Museum of New Zealand, Te Papa
Tongarewa, inv. ME004211.
FIG. 9 (EN BAS) : Tuai, dessins
pour les moko (tatouages
faciaux) de Korokoro, 1818.
Encre sur papier. 20,6 × 16,1 cm.
Collections spéciales de Sir George
Grey Special, Nga Pataka Korero o
Tamaki Makaurau – Auckland Libraries,
Auckland, inv. GNZMMSS-147-5.