HOMMAGES
Ezio Bassani 1924–2018 Bassani
APRÈS UNE BRÈVE MALADIE, Ezio Bassani, doyen des
africanistes italiens, nous a quittés par une chaude journée au
début du mois d’août 2018. Il allait avoir quatre-vingt quatorze
148
ans. Il était fatigué, mais alerte et travaillait encore à
la conception d’une nouvelle exposition quelques jours avant
sa mort. Bassani est resté égal à lui-même jusqu’à la fi n : passionné,
engagé et intransigeant, « partisan » des valeurs universelles
qu’on trouve dans les manifestations artistiques du
continent noir.
Bassani a d’ailleurs été un véritable partisan, rejoignant tout
jeune la résistance contre le nazisme et le fascisme au cours
des dernières années de la guerre. Aux côtés des jeunes combattants
qui se sont retrouvés comme lui dans les montagnes,
il rêvait d’un avenir meilleur et différent pour l’Italie, ouvert
aux préoccupations du monde. C’est dans ces circonstances
dramatiques qu’il a fait la connaissance d’Edmea, partisane
aussi, qui allait devenir son épouse, sa muse et sa compagne
pendant soixante-dix ans. Il n’était pas encore amoureux de
l’art africain, mais cette expérience l’a marqué, a forgé son
caractère et a défi nitivement façonné sa nature.
Après la guerre, Bassani a fréquenté l’univers des artistes et
c’est ainsi, presque par hasard, qu’il a découvert l’art africain.
Un coup de foudre immédiat, passionné, physique et total. Autodidacte,
il a essayé de s’orienter dans cette discipline pratiquement
inconnue en Italie. Il s’est informé, a fait des observations,
des erreurs, et a progressé jusqu’à ce qu’il trouve sa voie.
L’occasion lui a été offerte au milieu des années 70 par Carlo
Ludovico Ragghianti, célèbre critique d’art, qui lui a ouvert les
portes de l’Université internationale d’art de Florence et qui l’a
orienté vers l’histoire des collections publiques et privées, en
particulier les collections anciennes.
Bassani a su saisir cette opportunité. Ainsi, il est devenu une
référence reconnue et appréciée de ce qu’on pourrait appeler
le parti de l’art, un courant de spécialistes qui, sans sousestimer
les recherches anthropologiques, pensaient qu’elles
pourraient être complétées par l’identifi cation des maîtres, la
détermination de l’historicité et de la hiérarchie des oeuvres.
Cela semble évident aujourd’hui, mais ce point de vue était
alors minoritaire.
L’histoire de l’art africain lui a cependant donné raison et
Bassani a pu prendre sa revanche, ayant la satisfaction d’organiser
des expositions qui ont fait date. Vu l’impossibilité
de toutes les citer, signalons La grande scultura dell’Africa
nera (Florence, 1989), Le grand Héritage (Paris, 1992) et Africa,
capolavori da un continente (Turin, 2003).
Ajoutons encore qu’il a contribué à la conception de l’exposition
qui a donné naissance au MUDEC de Milan en tant
que commissaire associé : Africa. La terra degli spiriti (Milan,
2015).
Mais il ne tirait pas de véritable satisfaction de ces événements,
si importants soient-ils, parce que son caractère exigeant
lui en montrait toujours les imperfections. Les distinctions
reçues quand « il jouait à l’extérieur » le satisfaisaient
davantage. Réaliste, il savait combien comptent les relations,
les origines, les institutions et les pays où il travaillait. C’est
pourquoi il était fi er d’avoir participé à l’exposition Primitivism
in the 20th Century Art (New York, 1985), d’avoir organisé
la session consacrée à l’Afrique lors de l’exposition Circa
1492 (Washington, 1992) et d’avoir participé à la sélection des
oeuvres à exposer au Pavillon des sessions au Louvre.
Ensuite, n’oublions pas ses écrits qui ont fait de lui un précurseur
dans des domaines de recherches désormais établis. On
se rappellera ceux consacrés aux ivoires afro-portugais, aux
objets africains dans les anciennes collections européennes, à
l’identifi cation de quelques « mains de maître » et de nombreux
autres.
Dans son travail, Bassani défendait que la valorisation l’art
africain et le développement des connaissances dans ce domaine
devaient beaucoup aux chercheurs qui s’y sont intéressés,
des marchands qui l’ont promu et des collectionneurs qui
l’ont conservé. Il attachait donc la même importance à toutes
ces sources précieuses et irremplaçables.
Antonio Aimi et Gigi Pezzoli