RESTITUTIONS
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Alors, avant de juger l’Histoire, de condamner
Dodds et avec lui la France coloniale, avant de justifi
er des restitutions de biens prétendument mal
acquis, posons-nous ces questions : qui sont les
méchants de l’Histoire ? Où sont les gentils ? Estce
ce roi esclavagiste que l’on voudrait défendre ?
Peut-on reprocher à de pauvres esclaves yoruba
libérés par Dodds de s’être vengés sur leurs
maîtres fon ? Que penser du sort de la ville
de Kétou qui doit sa « renaissance » à Dodds
? Ces regalia, symboles d’un pouvoir
esclavagiste, qui dans un premier temps ont
été sauvées des fl ammes par Dodds et dans
un second, emportées, ont-elles réellement
été mal acquises ? Qui en seraient les légitimes
propriétaires ? Pourquoi faudrait-il
« restituer » et à qui ? Lorsque le Bénin moderne
formule aujourd’hui une demande de
restitution, est-il historiquement et moralement
légitime ?
En ancrant la question du partage des
biens culturels dans la thématique des restitutions,
le président Macron, qui déjà
lorsqu’il était en campagne n’avait pas
hésité à qualifi er la colonisation de « crime
contre l’humanité », n’a fait qu’allumer un
feu qu’il aura bien du mal à éteindre.
On redira que les mots ont un sens : « restituer »,
c’est rendre quelque chose à son propriétaire légitime
; la « restitution » c’est l’action de restituer
et donc de rendre quelque chose qu’on possède
indûment. Dès lors parler de « restitutions » c’est
immédiatement opposer un possesseur illégitime
à un propriétaire spolié. L’équation linéaire ainsi
posée est déjà résolue :
Colonisation + Crime contre l’humanité
+ Spoliations = Restitution
Qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien ainsi que le
message a été compris en Afrique. Il est facile de
le vérifi er à l’aune des déclarations faites par les
délégations africaines lors de la rencontre internationale
du 1er juin dernier au siège de l’Unesco à
Paris. Ainsi selon le président du Bénin, Monsieur
Patrice Talon, les biens culturels d’Afrique seraient
« soumis à l’asservissement » des musées qui
seraient autant de « milieux de répression »... Le
président du Gabon a quant à lui menacé : « Il ne
faudrait pas laisser la rue s’emparer de ces questions.
» Enfi n, « Nous sommes en guerre, c’est une
guerre qui commence » selon l’ancien directeur des
musées nationaux du Kenya.
La France serait donc « en guerre » – à tout le
moins patrimoniale ou culturelle, espérons-le –
avec l’Afrique parce que ses musées seraient autant
de lieux « d’asservissement » et de « répression »
des oeuvres d’art africaines ?
Triste, mais néanmoins prévisible réponse
à la main maladroitement tendue par le
président Macron, sur fond de repentance
nationale. On ne joue pas impunément avec
l’Histoire et les règles de droit.
La parole présidentielle a malheureusement
précédé la réfl exion et personne ne
peut aujourd’hui prédire ce qu’il adviendra
des collections muséales françaises.
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
Histoire générale de l’Afrique - Volume VII -
L’Afrique sous domination coloniale 1880-
1935, page 151, notamment.
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du Génie militaire, Paris, Berger-Levrault & Co,
1895.
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1988.
Sylvain Sankalé, À la mode du pays : Chroniques saintlouisiennes
d’Antoine François Feuiltaine : Saint-
Louis-du-Sénégal 1788-1835. Thèse de doctorat en
Histoire du droit et des faits économiques et sociaux,
faculté de droit de Montpellier, 1998, 750 pages.
Le général Dodds et l’expédition du Dahomey, édition
de 1894.
Édouard Edmond Aublet, La guerre au Dahomey 1888-
1893, 1893-1894 : d’après les documents offi ciels,
Berger-Levrault, Paris, 1894-1895.
Léon Silbermann, Souvenirs de campagne par le Soldat
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François Michel, La campagne du Dahomey, 1893-
1894 : la reddition de Béhanzin : correspondance
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petit-neveu Jacques Serre, L’Harmattan, Paris, 2001.
http://ecole.nav.traditions.free.fr/offi ciers_dodds_alfred.
htm
http://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1984_
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http://histoirecoloniale.net/la-France-prete-au-Benindes.
html
legionetrangere.fr : HISTOIRE : 1892-1893 - La Légion
étrangère pendant la campagne du Dahomey.
FIG. 2 (PAGE DE GAUCHE) :
Directory of museums
in Africa. Unesco-Icom,
Documentary Center, 1990.
Archives Tribal Art magazine.
FIG. 3 (EN HAUT) : Statue
représentant le roi Oyingin,
Place du centenaire de la
renaissance de Kétou 1894 -
1994. Photo de 2017.
https://commons.wikimedia.org/
wiki/File:Place_du_centenaire_de_la_
renaissance.jpg.
/offi
/cea_0008-0055_1984_
/legionetrangere.fr
/
/renaissance.jp