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Utilisées pour fumer du cannabis ou du tabac, les
somptueuses pipes ornées d’une figure humaine dans
le plus pur style Luluwa, comme d’autres genres
d’art décoratif, servaient probablement à indiquer le
statut et la richesse de leur propriétaire (fig. 19). Des
références similaires au commandement et au rang
s’appliquent certainement au petit nombre de tambours,
tabourets à cariatide, appuis-nuque, bâtons
et herminettes qui ont été attribués aux Luluwa.
Les herminettes figuratives munies d’une lame en
fer sortant de la bouche d’une tête humaine sculptée
au sommet d’un manche en bois appartiennent à
un type très répandu dans le sud du Congo. Jamais
utilisés comme outils servant à couper du bois, ces
emblèmes de pouvoir propres aux chefs et à d’autres
individus de haut rang étaient soit portés à l’épaule
ou tenus en main, en guise de bâton de danse lors
de spectacles (fig. 18). La relative rareté des arts décoratifs
luluwa dans les collections occidentales est
surprenante, mais peut s’expliquer par le fait que les
objets de prestige étaient importés de cultures voisines
– Kuba, Tshokwe et Luba-Katanga – plutôt que
fabriqués localement.
Le quatrième chapitre de mon livre est consacré
aux masques, qui sont moins nombreux que les
figures dans les collections occidentales et n’apparaissent
que rarement sur le marché de l’art (fig. 21
et 22). Marqués par l’influence tshokwe tant dans la
forme que dans le contexte, ils présentent des styles
relativement variés. Alors que quelques-uns seulement
s’inscrivent dans le style figuratif généralement
considéré comme typiquement luluwa, d’autres sont
manifestement des créations uniques dont l’attribution
à des artistes luluwa ne peut être étayée par des
données fiables. Les masques luluwa étaient essentiellement
utilisés dans le cadre des rites de passage
à la puberté des garçons, mais apparaissaient également
à l’occasion de l’investiture et des funérailles
des chefs locaux. Au cours des dernières décennies,
ils ont le plus souvent servi à divertir un public local
et les visiteurs occasionnels, dont moi-même.
L’un des masques luluwa les plus insolites, dont
le style est extrêmement similaire à celui des sculptures
figuratives luluwa dites classiques, est celui qui
a appartenu au collectionneur new-yorkais Werner
Muensterberger, et qui a atteint une somme record
pour une oeuvre luluwa lors d’une vente aux enchères
organisée par Sotheby’s le 11 mai 2012 à New York
(fig. 21). Certains styles de masques semblent se limiter
à des sous-groupes, tandis que d’autres sont vraiment
spécifiques à un atelier particulier ou à un artiste
donné. Grâce aux recherches et aux collections
de Maesen, nous savons que des masques conservés
dans des collections européennes et américaines ont
été sculptés par Ntumba Tshasuma du sous-groupe
Bakwa Kasaanzu, et que d’autres ont été fabriqués
par deux sculpteurs du sous-groupe Bakwa Ndoolo,
en l’occurrence Mundilaayi Mushipu et Jean Mandu,
dont il s’avère difficile de distinguer les oeuvres (fig.
23 et 24). Le masque – dont la structure n’est pas en
bois – que j’ai vu en action en 1994 et 1996 au sein
du sous-groupe Bashila Kasanga, dans le village de
Kapinga Kamba, appartient à un type peu connu
semblable au style Tshokwe dont des exemplaires
similaires ont été observés in situ depuis les années
1930 (fig. 20).
Dans la conclusion de Luluwa : Art d’Afrique centrale
entre ciel et terre, utilisant de la terminologie introduite
dans les études de l’art africain par Malcolm
McLeod à la fin des années 1970, je reviens d’abord
sur mes hypothèses antérieures quant à l’évolution
d’un style schématique vers une expression plus naturaliste,
en accord avec la théorie de McLeod. Dans
mes analyses précédentes, j’avais suggéré que cette
évolution dans les arts reflétait un changement dans
les sphères politique et économique à la fin du XIXe
siècle, changement provoqué par l’implication des
Luluwa dans le commerce de longue distance.
FIG. 17 (PAGE DE GAUCHE,
À GAUCHE) : Mortier et
pilon. Luluwa, probablement
issus le sous-groupe Bakwa
Mushilu, RDC.
Ex-coll. Amalie et Carl Kjersmeier,
Danemark.
Nationalmuseet, Copenhague, don de
Carl Kjersmeier, 1968, inv. G 8316.
© Nationalmuseet, Copenhague,
photo : John Lee.
Subtilement sculpté dans le style
classique Bakwa Mushilu, ce mortier
à cariatide destiné à la consommation
de tabac ou de cannabis possède une
figure adoptant une position typique,
où les coudes reposent sur les genoux
et les mains sont posées sur les joues.
La signification de cette posture
n’a pas encore trouvé d’explication
satisfaisante.
FIG. 18 (PAGE DE GAUCHE, À
DROITE) : Herminette.
Luluwa ou Luba-Kasaï, RDC.
Bois, pigments, perles, métal. H. : 42 cm.
Ex-coll. Annie et Jean-Pierre Jernander,
Bruxelles, Belgique ; Barbara et Joseph
Goldenberg, États-Unis.
Fowler Museum at UCLA, don de
Barbara et Joseph Goldenberg, 2010,
inv. X2010.16.61.
Photo : Don Cole © Fowler Museum
at UCLA.
Le style de cette herminette de prestige
ou de parade, que son propriétaire
accrochait habituellement à son
épaule, évoque un objet acquis par Leo
Frobenius au Congo en 1906 et attribué
aux Kanyok. Cependant, l’herminette
a vraisemblablement été sculptée par
un artiste Luba-Kasaï, membre du sousgroupe
Bakwa Kalonji.
FIG. 19 (EN HAUT) : Pipe.
Luluwa, RDC.
Bois, pigments, métal. L. : 47,5 cm.
Ex-coll. Henri Pareyn, Belgique, Anvers.
MAS | Museum aan de Stroom, Anvers,
1920, AE.0433.1–2.
© MAS | Museum aan de Stroom,
Anvers, photo : Bart Huysmans et Michel
Wuyts.
La signification de la caractéristique particulière
de cette pipe atypique, à savoir
la tête et la main sculptées, demeure
inconnue à ce jour. Quelques autres
exemplaires dotés d’une iconographie
identique et attribués aux Luluwa et à
leurs voisins proches Luntu sont conservés
dans des collections publiques et
privées aux quatre coins du monde.
LULUWA