ART ET LOI
défaite du roi Béhanzin et l’instauration d’un protectorat
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français.
À la lecture d’une presse quasi unanimement
convaincue de la nécessité de restituer ces « biens
mal acquis » par le général Dodds lors d’une « expédition
punitive », qui sont aujourd’hui conservés
au musée du quai Branly - Jacques Chirac, il est
impossible de cerner la réalité des faits. On imagine
une colonne infernale suréquipée, commandée
par un offi cier blanc, un peu roux, arborant casque
colonial et grande moustache, venue injustement
châtier de « bons sauvages » armés de lances et
de fl èches. Cette image tout droit sortie d’un fi lm
de Tarzan fait pourtant offense tant à l’Histoire
qu’au grand roi du Dahomey, Béhanzin, qui livra
aux Français, et à vrai dire à nombre de chefferies
et de royaumes voisins, une guerre farouche
en s’appuyant notamment sur le célèbre corps des
amazones du Dahomey, ou « Minos », c’est-à-dire
les femmes du roi, dont la légion étrangère française
salua « l’incroyable courage et audace ».
La réalité est pourtant tout autre et facilement
vérifi able, tant les sources abondent (*). Incontestablement
un grand roi, Béhanzin n’en était pas
moins, comme ses aïeux, un roi esclavagiste usant
de la force pour faire respecter ses privilèges sur ses
vassaux. L’histoire du royaume de Kétou (sud-est
du Bénin) qui fut à deux reprises impitoyablement
châtié par le père de Béhanzin, le
roi Glélé en 1882 et 1886, est sur ce point
édifi ante. Ainsi la ville de Kétou en 1886 fut
pillée, ses temples et autels détruits, toutes les
maisons brûlées, sous la direction personnelle
de Glélé, tandis que la population était conduite
en esclavage à Abomey, non sans que ses chefs
soient exécutés. Le souvenir des persécutions perpétrées
par le Dahomey est tellement vif à Kétou
qu’une place y est consacrée au « centenaire de la
renaissance de Kétou 1894-1994 » qui célèbre la
reddition totale du roi Béhanzin le 15 janvier 1894.
L’expédition Dodds, qui trouve sa source non
dans une volonté de piller les regalia conservées
au palais royal d’Abomey mais principalement
dans un confl it géopolitique opposant la France,
l’Angleterre et le royaume du Dahomey au sujet du
protectorat sur le petit royaume côtier de Porto-
Novo, se solda, au terme de combats particulièrement
rudes, par la prise d’Abomey le 17 novembre
1892 et la fuite de Béhanzin. Mais à nouveau
l’histoire ne peut être réduite à ce seul résumé. En
effet, au-delà de la rudesse des combats, des pertes
humaines que l’on déplore dans les deux camps, du
palais d’Abomey en proie aux fl ammes et du « trésor
de guerre », une autre réalité se dessine ; celle de
ces esclaves yoruba, libérés par l’armée de Dodds
et qui utiliseront leur liberté fraîchement retrouvée
à mettre le royaume de leurs anciens maîtres fon, à
feu et à sang ; celle d’un roi défait qui, avant de fuir
Qui analysera le rôle pourtant évident et souvent
revendiqué du christianisme et aujourd’hui plus encore de
l’islam dans la disparition de ces idoles jugées païennes ?
Qui constatera le piteux état dans lequel les musées africains
ont été laissés par leurs dirigeants et la presque totale
absence de collectionneurs africains ?
Qui enfi n voudra bien appréhender l’histoire des hommes
pour ce qu’elle est, sans analyse anachronique moralisatrice
ou sans révisionnisme même bienveillant ?
«
«
sa capitale, mettra le feu à son propre palais.
Un incendie qui sera éteint par les Français,
qui emporteront en signe de leur victoire,
dont ils ne doutaient pas un instant du bienfondé
moral et politique, les oeuvres qui sont
aujourd’hui revendiquées par le Bénin, un État
qui n’existait d’ailleurs pas à l’époque.
Ces faits sont notamment relatés dans l’ouvrage
de référence édité par l’Unesco : Histoire
générale de l’Afrique - Volume VII - L’Afrique
sous domination coloniale 1880-1935, page 151 :
« Mais ce qui faussa le plus le plan militaire fon fut
la destruction des récoltes par les esclaves yoruba libérés
par l’armée de Dodds. Des problèmes aigus de ravitaillement
se posèrent à Abomey. Certains soldats,
pour ne pas mourir d’inanition, devaient aller chercher
des vivres chez eux et défendre par la même occasion
leur village contre les pillards yoruba libérés. »
« Dodds, qui poursuivait sa marche inexorable,
faisait son entré e à Abomey, que Bé hanzin avait fait
incendier avant de faire route vers la partie septentrionale
de son royaume, où il s’é tablit. »