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marque d’infl uences multiples, du brahmanisme
auquel se rattachent les spéculations astrologiques
au taoïsme, inspirateur du calendrier birman, en
passant par le tantrisme et le bouddhisme du Nord
(Mahayana, voire Vajrayana) des anciens prêtres
Ari, férus de magie et diabolisés par la religion
offi cielle. Mais c’est l’animisme, au sens large, qui
forme le substrat de l’univers mental des habitants
du pays. C’est dans ce contexte riche et complexe,
véritable mosaïque ethnico-religieuse, où les traditions
et les croyances les plus diverses se juxtaposent,
se superposent, s’interpénètrent à l’infi ni,
sans se fondre dans un véritable syncrétisme à dominante
bouddhiste – illusion entretenue, depuis
Anawratha (1014-1077) par le pouvoir central et
la communauté monastique, mais que n’ont cessé
de dénoncer les connaisseurs les plus avertis, de
Shway Yoe (Sir George Scott, 1882 et 1910) et
Richard Carnac Temple (1906) à Maung Htin Aung
(1959) – qu’il faut resituer l’apparition aussi saisissante
qu’énigmatique des mystérieuses fi gurines de
médecine birmanes. Celles-ci n’ont, à ce jour, pour
autant que je sache, jamais encore fait l’objet d’une
publication ; on voudra bien ne voir dans le présent
article qu’une première tentative, inévitablement
lacunaire et conjecturale, faite pour attirer l’attention
des amateurs et des esprits curieux sur ces rares
créations originales et méconnues.
Mais d’abord, à quoi ressemblent ces objets sans
équivalent en dehors de la Birmanie, encore qu’on
les confonde parfois, abusivement, avec les amulettes
dont regorgent les marchés de Thaïlande,
voire avec les douteuses « pièces de jeu d’échecs »
des marchands de curios ? Il s’agit, pour la plupart
d’entre eux, d’objets de petite taille, de trois à douze
centimètres environ, rarement en bois sculpté, plus
généralement faits d’un mélange de poudres compressées
et moulées, le plus souvent revêtu d’une
couche de laque noire ou rouge, parfois de dorure,
qui assure la solidité de l’ensemble à l’exception
de la base, destinée à être creusée afi n de récupérer,
selon l’usage qu’on veut en faire, un peu de la
DOSSIER
Des arts de Birmanie, on connaît
surtout les productions classiques, effi gies de
Bouddha, reliefs ornant les temples des grands
centres historiques, Pegu, Pagan, Mandalay et
Rangoun. Mais il existe, aux marges de ces espaces
consacrés, fruit de l’alliance des dynasties royales et
de l’institution monastique, toute une variété d’expressions
artistiques populaires, ethniques, voire,
dans les régions excentrées comme les pays Kachin,
Chin ou Wa, de facture carrément « tribale », émanant
de traditions étrangères à la culture dominante
et souvent plus anciennes. Citons, pour nous en tenir
aux objets les plus représentatifs, les statuettes
de Nats, esprits ambivalents auxquels est rendu
un culte animiste étranger à la foi bouddhiste ; les
timons de chars à boeufs sculptés de fi gures d’oiseaux
ou de dragons, en pays Birman proprement
dit (ethnie Bama) ; les poulies de métiers à tisser et
les peignes à carder ornés de motifs variés (fi g. 10) ;
les marionnettes, principalement dans la région de
Mandalay ; les cannes dites de pélerin ou de moine,
Figures de médecine birmanes
au pommeau souvent orné d’une fi gure d’ogre-gardien
(« Nat-bilu ») ou de singe, réminiscence du
dieu hindou Hanuman ; les piques de tatouage en
bronze (fi g. 24), et divers objets de magie, parmi
lesquels, surtout dans le pays Shan et dans l’ancien
royaume de Lan Na, au nord de la Thaïlande, qui
lui est apparenté, des bâtons de chamane ornés de
fi gures diverses et nombre de diagrammes cabalistiques
illustrés d’images de démons, d’animaux et
de créatures fantastiques. Pour être moins visibles,
parce que plus rares sur le marché, les fi gures de
médecine dont il sera question dans les pages qui
suivent n’en sont pas moins des témoins privilégiés
de la rémanence des signes et des prodiges de cette
« vieille Asie » irréductibles aux formes canoniques
des arts classiques hindou et bouddhique.
Plus de cent trente groupes ethniques se partagent
le territoire de l’« Union du Myanmar »,
grand comme la France et la Belgique réunies.
Converti, par la volonté du prince, au bouddhisme
réformé (Theravada) au XIe siècle, le pays porte la
Par Marc Petit