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Qui prendra la peine de s’insurger ? De crier
enfi n à qui l’entendra que justifi er des « restitutions
» aux pays africains en se référant aux restitutions
des biens spoliés par les nazis, c’est comparer
la colonisation à la Shoah, parallèle aussi insupportable
qu’il est historiquement faux ! Qui dira
que la colonisation, aussi critiquable et injustifi able
qu’elle puisse nous paraître aujourd’hui, n’est pas
pour autant un crime contre l’humanité, dont elle
ne rencontre pas les critères juridiques ? Qui rappellera
qu’une grande partie des oeuvres classiques
africaines que l’on retrouve sur le marché mondial
ont été vendues après la période de décolonisation
et que celles sorties d’Afrique pendant la colonisation
ont pour la plupart été collectées, échangées
ou achetées et que celles issues d’un pillage sont rarissimes
? Qui analysera le rôle pourtant évident et
souvent revendiqué du christianisme et aujourd’hui
plus encore de l’islam dans la disparition de ces
idoles jugées païennes ? Qui constatera le piteux
état dans lequel les musées africains ont été laissés
par leurs dirigeants et la presque totale absence de
collectionneurs africains ? Qui enfi n voudra bien
vent de l’histoire ou
air du temps ?
appréhender l’histoire des hommes pour ce qu’elle
est, sans analyse anachronique moralisatrice ou
sans révisionnisme même bienveillant ?
Pourtant, puisque l’on veut faire un procès à
l’Histoire et réparer les fautes commises il y a parfois
plus de cent ans, qu’au moins on tente de la
comprendre, sans essayer de la réduire à ces deux
camps qui dans tous les romans s’affrontent : le
bien et le mal.
Dans la mesure où la polémique entourant les
« restitutions » est partie de la demande formulée
par le Bénin à propos des objets rapportés par
le général Dodds après la prise de la ville royale
d’Abomey le 17 novembre 1892, il n’est pas inutile
de se pencher un instant sur cette guerre faite
par la France au royaume du Dahomey, qui vit la
Depuis le « Non, ce n’est pas possible » opposé
poliment par la France en 2016 à la demande
de restitution formulée quelques mois plus tôt par
le Bénin (Tribal Art magazine, n° 84, p. 122), un
changement de paradigme s’est opéré à la faveur
d’un autre bouleversement, politique celui-là.
Sans que l’on comprenne vraiment pourquoi,
lors de son premier déplacement en Afrique le 28
novembre 2017, le président Macron fraîchement
élu, en totale rupture avec les principes d’inaliénabilité,
d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité qui
s’attachent aux collections muséales françaises, va
se prononcer en faveur de la restitution du « patrimoine
africain à l’Afrique ».
Cette déclaration, habillée de quelques annonces
sur le « partenariat scientifi que », « muséographique
» ou encore « la mise en valeur du patrimoine
africain » et partiellement cachée derrière
d’improbables « restitutions temporaires », n’en
est pas moins claire :
« Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient
réunies pour des restitutions temporaires ou défi nitives
du patrimoine africain à l’Afrique. »
Bien rares sont depuis les voix qui se sont élevées,
ne fût-ce que pour s’interroger sur les fondements
philosophiques ou juridiques d’une
telle rupture.
Au contraire, au fi l d’articles rivalisant d’enthousiasme
ou se contentant de reprendre doctement
des dépêches, c’est une propagande bien
rodée qui s’est mise en place.
Aucun amalgame, même le plus outrancier ne
nous aura été épargné : la colonisation, l’esclavage,
le crime contre l’humanité, les spoliations nazies,
les expéditions punitives, les objets de sang (à
l’instar de ces diamants de confl it, théorisés par le
géographe irlandais Hugo J.H. Lewis), toutes ces
blessures de l’histoire sont convoquées à la grandmesse
des restitutions, sans prendre la peine de les
expliquer, de les différencier ou de les hiérarchiser.
ART et loi
FIG. 1 (PAGE DE DROITE) :
Portrait du général Dodds
paru dans Le Petit Journal du
3 décembre 1892.
Archives de l’auteur.
Alfred Amédée Dodds est né à Saint-
Louis du Sénégal le 6 février 1842, métis
par ses deux parents. Il meurt à Paris
le 17 juillet 1922, après une carrière
militaire couronnée de succès. Versé
dans l’infanterie de marine à sa sortie
de Saint-Cyr en 1862, il sera promu
successivement capitaine (1869), chef
de bataillon (1878), colonel (1887),
général de brigade (1892) et général de
division (1899). Distingué dans tous ses
commandements, il est fait chevalier
de la Légion d’honneur en 1870,
commandeur de la Légion d’honneur
en 1891 et grand-croix de la Légion
d’honneur en 1907.
Le général Dodds est le dernier Afrodescendant
de l’armée française à avoir
été nommé à ce grade et le seul général
afro-descendant à avoir donné son nom
à une rue de Paris.
RESTITUTIONS:
Par Yves-Bernard Debie