PORTFOLIO
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ment pas eu la réussite escomptée. Lewis exécute le
portrait du prophète à la demande du gouverneur
du Territoire du Michigan, Lewis Cass, qui avait
conclu un accord avec Tenskwatawa afi n que celui
ci rentre de son exil au Canada pour favoriser
la réinstallation des Shawnees dans le nord-est du
Kansas. Cass envoie ensuite le portrait à Thomas
McKenney, récemment nommé à la tête du Bureau
des affaires indiennes au sein du ministère américain
de la Guerre, en lui suggérant de confi er à Lewis la
réalisation d’autres portraits des chefs indigènes traversant
la région de Détroit (planche 1973.167.49).
Conscient de la valeur d’une telle démarche,
McKenney marque son accord.
En 1825, Cass demande à Lewis de l’accompagner
au Traité de Prairie du Chien, dans le sud-ouest du
Wisconsin actuel, afi n de réaliser les portraits des
chefs présents dans l’assemblée. Lewis crée plus de
cinquante peintures et dessins des personnalités les
plus en vue, malgré des conditions diffi ciles, qu’il
décrira en ces termes : « Les inconvénients de taille
auxquels un artiste est inlassablement et forcément
exposé lorsqu’il voyage dans des contrées sauvages,
loin de toute civilisation, “crayonnant” ce qu’il voit
sur son passage à l’aide des outils rudimentaires
qu’il a été en mesure de se procurer au fi l de son
parcours… »3
Les portraits anciens d’Amérindiens
sont relativement courants. La fascination que
les Européens et, plus tard, les Euro-Américains ont
éprouvée en découvrant les nouveaux continents a
rapidement trouvé un écho artistique, matérialisé
par des représentations de leurs indigènes, soit pour
véhiculer la notion de sauvagerie des autochtones et
ainsi justifi er la conquête, soit pour documenter ces
cultures inconnues et / ou en voie de disparition, ou
encore pour illustrer des interactions politiques trop
souvent inversées. Les gravures de Theodor de Bry
(1528-1598) ont été largement diffusées aux XVIe
et XVIIe siècles et ont considérablement infl uencé la
perception européenne du Nouveau Monde, malgré
le fait que l’artiste lui-même ne s’y soit jamais rendu.
Bon nombre de ses oeuvres ne sont toutefois pas
FIG. 1 (CI-DESSUS) : Page
de couverture tirée de J. O.
Lewis, The Aboriginal Port
Folio, no 1, Philadelphie, mai
1835.
Collection de la University of Michigan.
dépourvues de vraisemblance, car elles étaient inspirées
de peintures d’artistes qui, eux, avaient visité ces
nouvelles contrées, notamment John White (1540-
1593) et Jacques Le Moyne de Morgues (vers 1533-
1588). La rapide expansion vers l’ouest des États-
Unis au XIXe siècle a entraîné une augmentation des
portraits et autres représentations. Parmi les artistes
les plus connus fi gurent Karl Bodmer (1809-1893),1
George Catlin (1796-1872) et Charles Bird King
(1785-1862),2 ce dernier en raison notamment de sa
participation active aux images destinées à l’ouvrage
de Thomas L. McKenney et James Hall, History of
the Indian Tribes of North America, dont les trois
volumes ont été publiés entre 1836 et 1844.
On se souvient par contre un peu moins du peintre
et graveur James Otto Lewis, auteur de nombreuses
oeuvres majeures largement diffusées aujourd’hui,
bien qu’à travers le travail d’autres artistes. Né à
Philadelphie en 1799, Lewis est l’un des huit enfants
d’une famille d’immigrés allemands qui s’installe en
1815 à Saint-Louis, puis dans le Territoire du Missouri.
Au début des années 1820, Lewis vit à Détroit,
capitale du Territoire du Michigan.
Durant son séjour à Saint-Louis, Lewis fait la
connaissance du portraitiste Chester Harding, qui deviendra
célèbre pour ses nombreuses représentations
de présidents américains et d’autres personnalités
infl uentes. À l’époque, Harding était sans doute plus
connu pour être le seul artiste à avoir réalisé un portrait
d’après nature de l’un des héros populaires du
folklore des États-Unis, Daniel Boone. Il avait ensuite
adapté ce buste en un portrait en pied, aujourd’hui
disparu, à partir duquel Lewis produisit une gravure
à la pointe sèche publiée le 11 octobre 1820.
Harding est alors réputé pour ses portraits représentant
des Amérindiens et Lewis ne tarde pas
à lui emboîter le pas dans son atelier de Détroit.
Sa première oeuvre connue dans ce domaine est
celle du prophète shawnee Tenskwatawa (planche
1973.167.69), le plus jeune frère du chef de tribu
et chef de guerre Tecumseh. Les deux frères étaient
de farouches opposants à la politique du gouvernement
américain, bien que leur combat n’ait fi nale-
J. O. LEWIS et The Aboriginal Port Folio
Par Jonathan Fogel