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HISTOIRE D'OBJET
qu’un papa de facture identique ; ces statuettes, ornées
du même glyphe crânien fi gurant un poulpe,
ont été découvertes en 1879 dans un entrepôt de
New Bedford (Massachussetts, USA) par Humphrey
Gifford. La ressemblance frappante, par tous
leurs traits, du kavakava du Peabody et de celui
d’Azy conduit à les attribuer au même sculpteur.
glYpHe CRÂNieN : le poulpe FABuleuX
Le crâne des statuettes pascuanes est souvent orné
d’une fi gure animale ou humaine. La localisation
de ce glyphe sur la partie la plus sacrée de l’individu
montre son importance symbolique. La tradition
orale recueillie dans l’île de Pâques entre 1864 et
1935 reste muette sur la signifi cation de ces signes.
Il est possible qu’ils représentent un groupe social
particulier (lignage ou corporation) tel le tapao,
animal tutélaire (totem) aux îles de la Société.
Le crâne du kavakava d’Azy porte donc la fi gure
d’un poulpe magistralement sculpté en très bas
relief, du grand art pascuan. D’Hawaï à la Nouvelle
Zélande et à l’île de Pâques, le poulpe est une
entité mythologique primordiale dont l’ancienneté
est antérieure à la diaspora polynésienne. Dans les
îles de la Société, ce poulpe légendaire est nommé
Tumu ra’i fenua. Selon un chant de création recueilli
à Bora Bora en 1824, avant que le monde ne prenne
sa forme actuelle, ses tentacules maintenaient la terre
étroitement collée au ciel. Quand le poulpe fut tué et
ses tentacules coupés, son corps tombé dans l’océan
donna naissance à l’île Tubuai (Australes).
Pour les anciens Hawaïens le poulpe, seul survivant
des univers disparus du début de la création,
incarnait le dieu créateur Kanaloa (Tangaroa aux
îles de la Société), maître du monde souterrain et de
la magie. Par ailleurs, c’est un fabuleux poulpe géant
qui permit au héros navigateur Kupe de découvrir
la Nouvelle-Zélande à l’issue d’une poursuite depuis
l’île mythique d’Hawaiki (îles de la Société ?).
La tradition orale des Pascuans, recueillie tardivement,
n’évoque l’octopus que d’une façon anecdotique.
Toutefois ses représentations, sculptées
dans le bois ou gravées dans la pierre, attestent
de l’importance mythique de cet animal avant la
conversion au christianisme. En effet, onze d’entre
elles fi gurent sur le sol rocheux plat d’Ava o Kiri,
sur la côte nord. L’uniformité du style de ces pétroglyphes
montre qu’ils sont l’oeuvre d’un prêtre-artiste
particulièrement inspiré par le céphalopode.
La carte établie par les missionnaires les situe sur