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FIG. 4 (PAGE DE DROITE,
À GAUCHE) : Panoplie de
sculptures présentant, en
haut au milieu, le kavakava
en fi gure 2.
Image fi gurant à la page 77 du
manuscrit de Mgr Jaussen Écriture de
l’île de Pâques, Empire maori, édité
en 1886.
Archives SS.CC.
défunt ; ils dépeignent aussi l’agresseur impitoyable
d’éventuels offenseurs.
Les représentations stéréotypées de kavakava
permettaient d’impliquer, au cours de rites privés,
toute la puissance de l’esprit d’un ancêtre (le mana)
dans des actions de magie blanche ou de magie
noire. Lors de cérémonies publiques, elles étaient
fi èrement exhibées suspendues par grappes sur le
torse et le dos de leurs propriétaires. Les missionnaires
ont insisté sur le rôle négatif de ces statuettes
en occultant leur rôle protecteur.
le KAVAKAVA D’AZY : oRigiNAl... MAiS
pAS TRop SiNgulieR
Quatre styles peuvent être distingués parmi les bois
sculptés pascuans : archétypique, classique, tardif,
moderne. Le kavakava « d’Azy » appartient au
style classique qui ne survécut pas à la déportation
sans retour de la moitié de la population pascuane
au Pérou (1862-1863) ; une des conséquences de
ce drame fut la disparition d’une grande partie de
l’aristocratie, dont les prêtres-sculpteurs.
Le kavakava d’Azy se place, par sa dimension
(49,2 cm), à la limite supérieure des statuettes classiques
de ce type d’objets ; au-delà de cette dimension,
elles appartiennent par tous leurs autres caractères
au style tardif et au style moderne. Le rapport
hauteur / largeur du corps se situe également à la
limite des styles classique et tardif. Il en est de même
pour le rythme statuaire. Lié à des canons religieux
et esthétiques qui ont varié dans le temps, ce rythme
dictait au sculpteur la proportion à accorder aux
segments du corps : tête, thorax, ventre, membres
inférieurs ; aussi la proportion de la tête des statuettes
tardives (fi n XIXe) est-elle plus importante
que celle des statuettes archétypiques et classiques.
Enfi n, la statuette présente de discrètes traces de
façonnage à l’aide d’une lime métallique. Cet outil
venu d’un autre monde, nécessaire pour aiguiser
les clous transformés en hameçons et les outils
tranchants en fer, n’intervint que rarement dans
la sculpture des objets en bois. Nul doute que les
limes ont fait partie des échanges avec les étrangers
dès les premiers contacts. Il semble que la statuette
d’Azy soit le plus ancien témoin de l’emploi d’outils
en métal par les Pascuans.
Ainsi, la statuette d’Azy présente les caractères
structurels essentiels et surtout le talent qui défi -
nissent le style classique ; ses proportions la placent
toutefois vers la limite chronologique supérieure
FIG. 3 (CI-DESSOUS) :
Groupe de Pascuans arborant
des objets sculptés dont le
kavakava en fi gure 2, visible
en arrière-plan de l’image.
Prise de vue de Susan Hoare,
Papeete, 23 août 1873.
Archives SS.CC. PAQ 2 photo Orliac.
leS KAVAKAVA, De ReDouTABleS
pRoTeCTeuRS
Les moai kavakava sont des statuettes en bois
presque toutes masculines dont les côtes (kavakava
= côtes) sont soigneusement incisées sur une cage
thoracique surdimensionnée. Le nom et la particularité
de ces statuettes, notés dès 1886 par William
Thomson, ont été entérinés dans leur acception actuelle
par M. Scoresby Routledge en 1919. Les os
décharnés du thorax des kavakava, de leur colonne
vertébrale et de leur bassin évoquent anatomiquement
le cadavre et symboliquement l’ancestralité.
Cette invocation plastique de la puissance surnaturelle
des ancêtres est dramatisée par un visage effrayant
dont les prunelles d’obsidienne fl amboient
de part et d’autre d’un nez aquilin ; le rictus de la
bouche découvre des dents bien rangées. Ces traits
expressionnistes sont ceux d’une entité redoutable
pour ceux qui négligeraient les hommages dus au