HISTOIRE d'objet
Le seul kavakava immortalisé entre
les mains de Pascuans (1873)
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par son jeune aspirant Julien Viaud (Pierre Loti) et
la tête de moai du musée du quai Branly - Jacques
Chirac, fi gurent déjà des objets victimes d’une perte
d’exigence plastique. Quand la mission quitta l’île
en 1871, les objets invendus et ceux considérés
comme des trophées furent transférés à l’archevêché
de Tahiti où les énigmatiques tablettes portant
l’écriture pascuane les avaient précédés ; puis la
collection suivit les déménagements successifs de la
congrégation : Paris (1888-1892), Braine-le-Comte
(Belgique 1903) et enfi n Rome (1953).
La collecte la plus abondante fut celle de
l’équipage de la Topaze lors de son escale à l’île
de Pâques du 31 octobre au 8 novembre 1868.
De retour à Valparaiso, ses offi ciers reçurent en
décembre 1868 la visite d’Émile Miot, offi cier de
marine sur la frégate française Astrée ; celui-ci
photographia sur le pont du navire britannique la
statue monumentale en pierre désormais orgueil
du British Museum (inv. Oc1869,1005.1), ainsi
Les missionnaires de la congrégation SS.CC installèrent
leur église et leurs écoles de 1866 à 1871,
suivis entre 1868 et 1877 par un colon français, Onésime
Dutrou Bornier. Après le succès de la conversion
en 1868, ces nouveaux résidents tirèrent parti
des bois sculptés pascuans, une des rares ressources
de l’île négociable auprès des équipages des navires ;
ils collectèrent les instruments cérémoniels et les
« idoles » en bois d’un culte désormais aboli : statuettes
de créatures chimériques (hommes-oiseaux,
hommes-lézards), d’animaux (poissons, mollusques,
coquillages, etc.) et d’êtres humains. Ces derniers
présentent trois types principaux : papa (femme très
plate), tangata (éphèbe) et kavakava (vieillard).
La majeure partie des objets rassemblés à la mission
de Hangaroa par les pères Roussel et Zumbohm
entre 1868 et 1871 fut acquise par les Britanniques
de la Topaze (1868), puis par les Norvégiens du
Glitner (1869) et les Chiliens du O’Higgins (1870).
Dans la collecte de la Flore (1872), frégate célèbre
Par Michel Orliac
FIG. 1 (CI-DESSUS) :
Panoplie d’objets pascuans
sur le pont de la Topaze,
décembre 1868.
Archives SS.CC. PAQ 5, photo Orliac.
FIG. 2 (PAGE DE DROITE) :
Figure kavakava. Rapa Nui.
Bois. H. : 49 cm.
Collection privée.
© Hughes Dubois.
DANS L’ÎLE DE PÂQUES, LES EFFIGIES
MAGIQUES CHANGENT DE MAINS
En 1774, les offi ciers du capitaine Cook inaugurèrent
le trafi c des bois sculptés pascuans destinés
à enrichir les cabinets de curiosités d’Europe. Dès
le début du XIXe siècle, les Pascuans (Rapa Nui) ne
permirent plus aux marins de débarquer, mais les
échanges restèrent actifs avec les chasseurs de cétacés,
surtout américains, sillonnant par milliers le
Pacifi que jusqu’à la guerre de Sécession. Fin 1862,
des pirates déportèrent la moitié de la population
pascuane vers le Pérou ; les exilés y moururent tous,
sauf six insulaires rapatriés en 1864 par le frère
Eugène Eyraud, de la congrégation des Sacrés-
Coeurs de Jésus et de Marie (SS.CC) ; au cours d’un
séjour très précaire de neuf mois, Eyraud constata
l’abondance des bois sculptés et des tablettes portant
les signes rongorongo : « Dans toutes les cases,
on trouve de petites statuettes... des tablettes de
bois et des bâtons couverts d’espèces de caractères
hiéroglyphiques.1 »