DOSSIER
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bâtisseur de routes), ou de tanjok (éléphant)72. Les
chefs étaient aussi désignés par les termes « éléphant »,
« python » ou « léopard » en guise de titres honorifi
ques. Fontem Assunganyi est quant à lui considéré,
d’un point de vue historique, comme un héros par les
Bangwa, même s’ils sont également conscients qu’il
s’agissait d’une personnalité complexe73. Après la
mort de Conrau, il vécut dans la clandestinité pendant
douze ans dans des régions isolées de la forêt et
fut ensuite condamné à l’exil par le régime allemand.
Il reviendra dans la région bangwa en 1914, une fois
le pays passé sous l’autorité coloniale britannique, et
règnera jusqu’à sa mort, en 1951.
ÉPILOGUE
Dans cette affaire, établir une distinction entre les
victimes et les bourreaux n’est pas chose aisée. Ce
dont on peut être certain, toutefois, c’est que la version
des Allemands était nationaliste, complètement
partiale et absurde. Où commence une « nation » en
territoire étranger et où s’arrête-t-elle ? Et si cette
« nation » repose sur une vision idéaliste, comment
peut-elle justifi er sa supériorité lorsque ses actes vont
totalement à l’encontre de cette vision ?
Le début du XXe siècle vit l’émergence de concepts
de relativisme culturel remettant en cause l’idée
évolutionniste en vogue jusque-là, selon laquelle le
niveau de développement culturel des peuples prétendus
« primitifs » pouvait être mesuré et jugé à
l’aune de critères européens. Dans le cadre de cette
nouvelle approche, Wittgenstein introduisit l’idée de
« jeux de langage ». Selon lui, « il faut commencer par
décès de Conrau, l’on trouve cette phrase très révélatrice
et instructive : « La Compagnie du nord-ouest
du Cameroun fraîchement créée n’avait engagé
Conrau que très récemment, et lui avait offert des
conditions d’emploi très avantageuses.71 »
Finalement, Conrau est surtout connu pour les
objets qu’il a collectés au Cameroun, dont soixante
et onze chez les Bangwa, notamment des armes, des
paniers, des pipes, des masques et des sculptures,
dont la qualité varie d’excellente à médiocre. Durant
la période précédant sa rencontre avec les Bangwa,
il collecta également quelque soixante-quinze objets
chez les Bali et dans la région forestière, entre autres
chez les Banyang, les Bafo et les Basosi, objets qu’il
expédia également à Berlin. Au Cameroun, Conrau
est cité dans les traditions orales des Bali et des Bangwa,
sous le nom de manji-kwali ou manjikwara (le